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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 20.djvu/28

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lutter deux heures. Après, ma frégate sera en bien mauvais état. Mais, pendant ce temps, la Saale aura passé, en profitant de la brise qui chaque soir s’élève de terre. Ce n’est pas le reste de la croisière, une méchante corvette et un aviso, qui arrêtera la Saale, frégate de premier rang, portant du 24 en batterie et des caronades de 36 sur le pont. »

La Méduse se vouait à la destruction. Mais on avait dit que la personne de Napoléon était sous la sauvegarde de l’honneur français. Ces braves gens pensaient que l’honneur français valait bien le sacrifice de leur bâtiment et de leur vie.

L’offre héroïque du capitaine Ponée fit tressaillir l’Empereur. Elle lui touchait le cœur en même temps qu’elle ranimait ses instincts de bataille. Mais des scrupules l’arrêtèrent. Il se demandait, lui qui n’avait jamais compté aveu ; la vie des hommes, s’il avait le droit, maintenant qu’il n’était plus Empereur que de nom, d’engager un combat sanglant à son seul profit et sans utilité pour le pays. Aurait-il fini par s’y déterminer ? on ne peut le savoir, car un avis du commandant de la Saale vint brusquement mettre un terme à ses hésitations. Ce commandant, le capitaine Philibert, avait aussi, comme chef de la division navale, le commandement supérieur de la Méduse. Instruit du projet qu’avaient formé Ponée et les officiers de cette frégate, il déclara à Bertrand que, « par égard pour l’Empereur, il ne regarderait pas cette proposition comme un acte de rébellion mais qu’il s’opposait à ce qu’il en fût parlé davantage. »

Rovigo dit que le capitaine Philibert avait des ordres secrets qui défendaient d’appareiller si les bâtimens couraient quelque danger. Il n’était pas besoin d’ordres secrets, puisqu’il y avait les instructions de Decrès, des 28 et 29 juin, communiquées à Philibert par le préfet maritime Bonnefous : « Les frégates appareilleront si la croisière ennemie n’est pas dans le cas de s’y opposer ; » et : « Les frégates partiront si la situation de la croisière permet de le faire sans compromettre les frégates. » Ces instructions n’avaient été ni révoquées, ni modifiées ; elles étaient implicitement maintenues dans l’arrêté gouvernemental du 6 juillet. Le capitaine Philibert devait s’y conformer, à moins de se laisser entraîner à un magnanime acte d’indiscipline. La Commission de gouvernement avait consenti, et avec quelles difficultés ! à ce que les frégates prissent la mer en trompant la vigilance de la croisière ; mais elle ne voulait absolument pas une