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contrefaire un orchestre, ou la grand’messe de la cathédrale. La musique avait pris entièrement possession de cette petite âme de feu : l’enfant ne s’amusait plus, ne s’émouvait plus, ne vivait plus que d’elle. Il en était si absorbé que, lorsqu’il était assis à son clavecin, la moindre interruption le faisait pleurer. Son visage même avait changé : à l’expression espiègle des premières années s’était substituée une mine si sérieuse, si recueillie, que les étrangers, qui en ignoraient la cause, soupçonnaient le petit Mozart d’être stupide, ou encore de couver quelque maladie. Il n’était point malade, cependant, et, bien loin d’être stupide, il avait déjà l’esprit singulièrement vif, alerte, et pénétrant, qu’il devait faire voir ensuite dans ses lettres : mais, avec l’ardeur impétueuse qui lui était naturelle, il s’était absolument enivré de musique. Et non point de la musique sous sa forme de science, ni, non plus, sous la forme matérielle de ces tours de force où se plaisent d’ordinaire les enfans prodiges. Il commençait à avoir dès lors cette haine et ce mépris de la virtuosité qu’il devait garder durant toute sa vie, et qui allait plus tard, au grand chagrin de son père, le conduire à délaisser tour à tour le violon, l’orgue, et jusqu’au piano. Les leçons, les exercices, il les subissait, mais sans y trouver jamais un réel plaisir. L’unique chose dont il avait passionnément besoin, dès son enfance, dès l’âge de quatre ans, c’était de composer, de créer lui-même de la musique, d’épancher au dehors la source mystérieuse de beauté qui coulait dans son cœur.


Un jour, — raconte Schachtner[1] dans une lettre adressée en 1792 à Marianne Mozart, — après l’office du jeudi, comme je montais chez vous en compagnie de monsieur votre père, voilà que nous voyons le petit Wolfgang (il avait alors quatre ans) tout occupé à écrire quelque chose.

PAPA. Que fais-tu là ? — WOLF. Un concerto pour le clavecin ; je vais avoir bientôt achevé la première partie ! — PAPA. Fais voir ! — WOLF. Mais je n’ai pas encore tout à fait achevé I — PAPA. Fais voir tout de même ! Cela doit être quelque chose de joli !

Et son papa lui prit le papier, et me montra un brouillis de notes de musique, dont la plupart étaient écrites sur des taches d’encre toutes frottées et étendues. (Car le petit Wolfgang, par inexpérience, plongeait toujours sa plume jusqu’au fond de l’encrier, d’où résultait à chaque fois un gros pâté : mais lui, résolument, il étendait le pâté avec le plat de la main, pour le sécher, et écrivait par-dessus.) Nous commençâmes donc par rire de

  1. Schachtner était un trompette de la chapelle archiépiscopale, grand ami des Mozart.