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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 20.djvu/677

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En l’honneur du général, elle donna donc Le Départ des Volontaires ; il eut la galanterie d’aller, durant un ent’racte, saluer l’aimable directrice en ce foyer où se pressaient toutes les notabilités du temps.

Il n’était bruit alors que du projet d’expédition en Belgique dont on savait que Dumouriez était venu concerter le plan avec les ministres.

— Général, lui dit la fine et avisée directrice, qui, très habilement savait allier le soin de ses intérêts à l’enthousiasme patriotique, général, j’ai une grâce à vous demander : donnez-moi l’agrément de conduire à Bruxelles, dès que vous y serez entré, une Troupe de la propagande[1].

Flatté au fond du cœur par cette confiance en ses succès, par ce compliment délicat qui se dissimulait sous une requête, le général approuva d’un sourire et répondit avec assurance :

— Pour les fêtes de Noël, je vous y donne rendez-vous. Dumouriez, dans cette réponse, ne se montrait point présomptueux : bien avant le rendez-vous assigné, il devait entrer à Bruxelles.

La Montansier, jadis beauté célèbre — elle avait fait des passions sous le règne de Louis XV, — n’était plus toute jeune en 1792 ; elle avait exactement soixante-deux ans, et ces soixante-deux années avaient été abondamment remplies par une existence qui ne manquait ni de piquantes aventures, ni de coups de théâtre, ni de mouvement. Née à Bayonne, d’une famille de petite bourgeoisie, Marguerite Brunet, devenue orpheline, était venue à Paris rejoindre sa tante maternelle, une dame Montansier, établie revendeuse à la toilette rue Saint-Roch. Elle paraît dès lors s’être adonnée à une existence plutôt joyeuse qu’austère. « Dès l’année 1748, affirme un rapport de police[2](elle avait alors dix-huit ans), elle était déjà connue sur le pavé de Paris. » D’une taille ordinaire, médiocrement bien faite, blanche de peau, les yeux assez bien, le nez un peu gros, la bouche et le parler agréables, de la gorge, la main jolie, amusante et s’énonçant bien, la demoiselle de Montansier, — car pour fréquenter, dans l’intimité la plus secrète, des gens comme il faut, Marguerite Brunet avait cru utile de remplacer son nom par celui de sa tante en y ajoutant une particule qui s’y adaptait fort bien, — la demoiselle de Montansier donc, ne

  1. Archives nationales, F1° 11, dossier 5, lettre du 26 novembre 1772.
  2. Ce rapport a été reproduit in extenso par M. G. Lenôtre dans la si intéressante étude qu’il a consacrée à la Montansier, Vieilles maisons. Vieux papiers, 2e série.
    Signalons aussi les documens publiés par M. Martial Teneo dans le Monde artiste. Ils sont relatifs à l’arrestation de la Montansier pendant la Terreur.