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petite vérité qui me semblait être un lieu commun : à savoir que la bonté, la patience et le pardon d’un mari, mis en parallèle avec la brutalité, l’égoïsme et la vanité d’un amant, doivent ramener au juste et au vrai un cœur égaré par la passion. Le pudique parterre a trouvé cet essai absurde et immoral. J’en suis fâchée pour lui et crois très fort que ce jugement porté sur mon immoralité proclame la sienne ; ceci est peu de chose quant à moi.

Je serais bien fâchée de n’avoir pas un peu espéré des hommes de mon temps. Je n’en désespère pas et n’en désespérerai jamais, quoi qu’ils fassent pour cela. Je les regarde comme des enfans mutins qu’il faut endoctriner toujours, au risque de les mettre en colère. Je n’ai pas d’autre pensée dans l’âme et ce n’est pas d’aujourd’hui que je sais ce qu’il faut risquer et affronter pour la dire. Voilà pourquoi mon amour-propre n’est point en cause et ne souffre jamais.

Vous me dites des choses parfaites, trop élogieuses, mais bien sympathiques à mon cœur. Je vous assure qu’il faudrait être dans une veine d’ironie bien bilieuse pour n’en être pas profondément touchée.

Mais rassurez-vous, je ne suis pas ironique du tout. Ceux qui vous l’ont fait croire ont fait trop d’honneur à mon esprit et ne m’ont jamais adressé apparemment de ces bonnes paroles qui appellent l’amitié et imposent la reconnaissance.

Tout à vous.

GEORGE SAND.


À cette vie si laborieuse, si agitée, Lavergne avait pu cependant dérober de courts instans qu’il avait consacrés à voyager. Son habituel compagnon dans ces rapides excursions était son ami Ampère, Ampère, le voyageur intrépide, l’infatigable érudit, le lettré délicat que Prévost-Paradol, son successeur à l’Académie française, a peint d’un trait charmant en disant « qu’il avait traversé le monde, un livre à la main. » Ampère, à cette époque, préparait un voyage en Égypte ; il entretenait Lavergne de ses projets.


Mon cher ami,

Vous êtes bien aimable de vous être souvenu des Parisiens, comme on dit en province, et surtout de leur revenir bientôt. Si Madame votre mère est du voyage, Mme Récamier s’en réjouira doublement. Pour moi, je n’aurai plus à désirer que Monsieur Votre frère, notre aimable compagnon de route.

Vous saurez que je ne vais point en Égypte cette année. Je me suis