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Où, Varennes ? On s’informe : en Argonne, du côté de Verdun, à dix lieues de la frontière. Ce cri de détresse, cet appel angoissé parvenant de cette bourgade au nom inconnu, le sentiment des périls qui la menacent, des incidens tragiques qui peut-être l’ont ensanglantée depuis vingt-quatre heures que la lettre a été écrite, l’impossibilité de lui envoyer des secours immédiats, les appréhensions, la stupeur, l’imprévu grandissent encore l’événement qui vient de s’ajouter, comme un émouvant chapitre, au roman de la Révolution. Une sorte d’attendrissement détend l’Assemblée, tandis que se poursuit la lecture ! C’est maintenant le procès-verbal des incidens de Sainte-Menehould, le passage de la berline, le désarmement des dragons, la copie des ordres de Bouillé sur le cantonnement des troupes, enfin, cette adresse de la municipalité de Clermont-en-Argonne, qui sonne comme un tocsin et met un frisson dans tous les cœurs :

« Des personnes de la plus haute considération viennent d’être arrêtées à Varennes ; cette ville et celle de Clermont sont garnies de troupes, et les gardes nationales de Clermont les ont empêchées de sortir de la ville. Mais vite, à notre secours ! D’autres troupes sont sur le point d’arriver. La patrie est en danger. Les dragons sont patriotes, venez sans perdre de temps. »

L’Assemblée tout entière est soulevée ; voilà donc la catastrophe redoutée ; c’est la guerre civile ; à cette même heure, les paysans d’Argonne bataillent contre l’armée royale ! Les propositions s’entre-choquent : « La destitution de Bouillé ! — La clôture des barrières ! — L’état de siège ! » — Dans le bruit, Chabroud quitte la présidence ; d’Audie le remplace et suspend la séance à onze heures du soir : elle est reprise à minuit : l’Assemblée est calme, presque silencieuse, absorbée : un mot de Toulongeon a produit ce miracle : « Nous sommes, a-t-il dit, au moment le plus pénible peut-être et le plus solennel que l’histoire ait jamais consacré dans les fastes d’une nation !... » et l’on décrète à l’unanimité que « les mesures les plus pressantes et les plus actives seront prises pour protéger la personne du Roi, de l’héritier présomptif de la couronne et des autres membres de la famille royale ; pour l’exécution de ces dispositions, MM. La Tour-Maubourg, Pétion et Barnave se rendront à Varennes et autres lieux où il serait nécessaire de se transporter avec le titre et le caractère de commissaires de l’Assemblée nationale ; ils seront accompagnés