force des armées nippones et leur préparer ainsi des succès réels. Ces brillantes nouvelles, que les journaux nous apportent, n’étaient pas destinées à séduire le public français, dont les préférences sont connues et que l’on n’espère pas égarer, mais à entretenir et à stimuler l’enthousiasme des Anglais et des Américains, et peut-être, grâce à la pression de la volonté populaire, à entraîner les gouvernemens à une intervention diplomatique ou militaire. Les mêmes faits, appréciés par la presse des différens pays ou des divers partis, subissent de tels maquillages qu’à peine les peut-on reconnaître, si bien que l’on pourrait dire que les événemens ne portent pas en eux-mêmes tout leur caractère et toutes leurs conséquences ; ce sont les commentaires qu’on en fait qui leur donnent leur vrai sens et leur portée effective. Pour les uns, par exemple, l’amiral Togo a « traîtreusement » attaqué les vaisseaux russes et toute la responsabilité de la guerre incombe aux Japonais ; pour les autres, c’est le tsar qui, tout en abusant son adversaire par une « comédie » pacifiste, n’a cessé d’augmenter ses armemens et rendu ainsi la guerre inévitable. De même, à chaque engagement, les journaux décident, à leur gré, du succès de chaque parti. Et c’est ainsi qu’en notre temps d’information fiévreuse, de reportage et d’indiscrétion, jamais le public n’a été plus trompé, plus mystifié, et plus crédule.
Si l’on s’en tenait, pour juger les choses, aux apparences extérieures et à une logique superficielle, on serait tenté de croire qu’en Europe, les partis ou les hommes qui font profession d’être « pacifistes » auraient, dès la première nouvelle de la surprise de Port-Arthur, manifesté leur indignation contre le Japon, perturbateur de la paix, et témoigné toute leur sympathie à l’initiateur du congrès de La Haye, au souverain qui ambitionne de porter dans l’histoire le nom de « Tsar de la paix, » et qui, jusqu’au dernier moment, garda une foi si robuste en la possibilité d’éviter un conflit, que l’ennemi put surprendre ses forces navales disséminées et confiantes. Mais, dans le domaine de la politique, les raisonnemens trop simples sont rarement exacts et la réalité échappe aux syllogismes ; les idées n’apparaissent pas séparées les unes des autres comme des formules abstraites ; elles s’incarnent dans des partis, dans des nations ou dans des individus ; comme certains métaux qui ont entre eux des affinités et qui ne se rencontrent isolés les uns des autres que dans le creuset du chimiste, de même, certaines idées de notre