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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 21.djvu/784

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Ils durent servir le pays malgré lui. Toute province, tout royaume qu’ils ajoutaient à son patrimoine, était pour eux l’occasion d’un affront. On vit ainsi Jules Ferry s’affaisser peu à peu sous le poids des services qu’il rendait à la France. Pendant qu’on traînait ici dans la boue les meilleurs serviteurs de l’Etat, l’Angleterre tressait aux siens des couronnes. Encore aujourd’hui, la Primrose-league suspend chaque année des guirlandes de fleurs aux statues de ce Beaconsfield, qui n’a point augmenté le domaine de la Grande-Bretagne, mais qui a baptisé l’Empire britannique. Ce contraste en dit long sur l’état moral des deux nations. Par la manière dont elles traitaient leurs hommes d’État, on pouvait prévoir l’issue de la lutte. D’un côté, on voyait l’unité de vues, la suite et la ténacité dans les desseins, le silence des partis dans la préparation des événemens, leur unanimité pendant la crise ; de l’autre, des hésitations, des élans suivis de défaillances, une presse indisciplinée, un gouvernement instable, les moindres incidens exploités par les passions politiques, les rivalités de personnes mises au-dessus de l’intérêt public ; en un mot, toutes les fluctuations d’un navire, qui, à travers les révolutions et les catastrophes, semblait avoir perdu sa boussole.


IV

Les dispositions conciliantes de l’Angleterre se montrèrent d’abord au congrès de Berlin. Selon sa coutume, elle donnait une promesse vague en échange d’un bénéfice certain : pour se faire pardonner l’occupation de Chypre, qui était au Sultan, elle nous offrait la Tunisie, qui ne lui appartenait pas. Elle refusa même de nous confirmer cette offre par écrit. Lorsque, trois ans plus tard, nous l’invitâmes à tenir sa parole, elle fit la mine d’un débiteur à l’heure de l’échéance. Elle céda pourtant, mais de mauvaise grâce.

Ce n’était que le prélude d’une affaire beaucoup plus grave.

Depuis plusieurs années déjà, la France et l’Angleterre gouvernaient conjointement l’Égypte sous le nom du Pacha. Après la guerre, et malgré nos malheurs, la France était encore prépondérante sur le Nil. Elle y possédait la colonie la plus nombreuse. Elle avait le contrôle du canal de Suez, construit avec l’argent français par des ingénieurs français. La plus grande