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REVUES ÉTRANGÈRES

UN ROMAN PHILOSOPHIQUE ANGLAIS


The Veil of the Temple, par W. H. Mallock, 1 vol. Londres, 1904.


Le philosophe Herbert Spencer, celui-là même que nous venons de voir étalant ingénument devant nous, tout au long des mille pages de son Autobiographie[1], sa vanité naïve d’autodidacte et son égoïsme maniaque de vieux célibataire, voici que nous le retrouvons à présent, — masqué sous un nom de fantaisie, et peut-être un peu idéalisé, — dans le nouveau roman de M. Mallock. C’est lui que nous apercevons, dès la première page, assistant à une grande soirée mondaine où l’a entraîné une dame de ses amies, la « populaire et intellectuelle » Mme Vernon.

A l’endroit où il était assis, sous la lumière des bougies et du lustre, il formait un objet tout à fait singulier. Son haut front en dôme, ses yeux perçans, ses lèvres longues et serrées, trahissaient chez lui un très vif sentiment de sa valeur et de son importance ; cependant que la raideur du plastron de sa chemise, des souliers aux bouts carrés et aux épaisses semelles, ainsi qu’une paire de bas blancs que l’on entrevoyait au-dessus d’eux, lui donnaient, — et à lui seul, entre tous les hommes qui remplissaient le salon, — la distinction comme d’un habitant d’une autre planète.

Par instans, Mme Vernon lui offrait, vainement, de le présenter à quelque célébrité, ou encore s’ingéniait à élaborer pour lui quelque réflexion grave : auquel cas il s’empressait toujours de lui répondre avec une condescendance respectueuse; mais, chose étrange, la conversation qui se poursuivait autour de lui paraissait avoir pour lui un intérêt beaucoup plus absorbant

  1. Voyez la Revue du 15 mai 1904.