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est ingénieuse, et claire, et suivie, ni avec quel art son auteur a su l’adapter aux conditions présentes de l’important problème qu’elle aspire à résoudre. Entremêlée à un roman, qui du reste est lui-même tout à fait agréable, la doctrine philosophique de l’écrivain anglais, à la voir se dérouler devant nous, nous offre en vérité tout l’imprévu, tout le charme, toute l’émotion vivante d’un roman.


Le malheur est qu’il y a toujours chez M. Mallock un besoin instinctif de satire, qui le porte, dans ses romans, à ridiculiser jusqu’à ses héros mêmes, ce qui ne laisse pas de déprécier un peu, pour nous, les idées et les sentimens qu’ils doivent exprimer. Et ainsi, dans son Voile du Temple, toute la discussion philosophique se trouve conduite, d’un bout à l’autre, par l’ex-ministre Rupert Glanville, parfait homme du monde, mais fort au-dessous du grand rôle dont l’auteur l’a chargé. C’est, ce Glanville, un curieux spécimen du philosophe de salon. Intelligent, spirituel, instruit, il s’intéresse à tout, mais sans avoir le temps de rien approfondir. Sur les questions les plus graves, on sent qu’il n’est jamais renseigné que de seconde main. Aussi bien a-t-il les poches remplies de coupures de journaux ; et c’est en s’appuyant sur des chroniques du Times qu’il traite des hypothèses évolutionnistes de M. Hœckel ou de l’exégèse de l’abbé Loisy.

Encore n’est-ce point là son principal défaut. Le désir de briller dans les salons lui a donné, en outre, un goût maladif de paradoxe : de telle sorte que sans cesse il exagère la portée de ses argumens, et nous empêche, par là, de les prendre au sérieux. Pour mieux nous convaincre de l’impossibilité d’un compromis entre la religion et la science, il attribue à celle-ci des victoires dont nous ne sachions pas qu’elle-même ait songé, jusqu’ici, à s’enorgueillir. A un idéaliste « hégélien » qui affirme que notre moi est l’unique objet que nous connaissions directement, il répond que cette théorie, soutenable jadis, a tout à fait perdu sa valeur depuis le jour où l’évolutionnisme a découvert les origines du moi et reconstitué sa genèse progressive : réponse qui atteste, en vérité, une singulière ignorance des principes les plus élémentaires de tout idéalisme. On lui dit que Huxley lui-même tenait pour inexplicable le passage de la vie organique à la vie consciente. « Oui, répond-il, mais des faits se sont produits, depuis la mort de Huxley, qui ont bouleversé de fond en comble notre conception de l’esprit. » Et ces faits se trouvent être des cas de double personnalité, de suggestion hypnotique, etc., toute une série de phénomènes que Huxley, cependant, n’aura pas manqué de connaître, mais