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parler, au grand jour de la publicité. Si nous retrouvions donc demain les « brouillons » de Bourdaloue, je ne suis pas du tout sûr que le texte en dût être préféré à celui de l’édition Bretonneau. Puisqu’il avait commencé de préparer lui-même ses sermons pour l’impression, Bourdaloue pourrait être l’auteur des corrections ou modifications qu’on impute à l’infidélité de Bretonneau. Les conditions de la parole humaine sont telles, qu’à moins de réciter son discours par cœur, aucun orateur, ni, du haut de la chaire ou de la tribune, ne dit jamais tout ce qu’il s’était proposé de dire et dont il avait jeté l’indication sur le papier, ni, quand il imprime son discours, n’y fait toujours entrer tout ce qu’il a dit. Ce serait s’interdire, dans le premier cas, toute liberté d’improvisation, et, dans le second, ce serait se refuser le droit de se corriger. Aucun orateur n’y saurait consentir ! Et voilà pourquoi, même si nous avions les manuscrits de Bourdaloue, je demanderais sans doute que, dans une édition critique de ses Sermons, on en relevât expressément les moindres variantes, mais je n’admettrais pas qu’on en substituât d’autorité le texte à celui de l’édition Bretonneau.

Mais, encore une fois, nous n’avons pas les manuscrits de Bourdaloue ; et, ne les ayant pas, le texte que l’on propose de substituer à celui de l’édition en quelque sorte « officielle, » c’est le texte des éditions subreptices, plus ou moins adroitement combiné avec le texte des « copies » manuscrites. Or, on remarquera que rien ne nous garantit la fidélité de ces copies, ni l’habileté des « sténographes » du temps. Les éditions subreptices, et notamment les éditions de 1692 et 1693, qui sont les principales, sont aussi celles que Bourdaloue lui-même a publiquement « désavouées, » par une déclaration insérée au Journal des Savans. Il ne s’y reconnaissait pas plus que Bossuet n’avait voulu se « reconnaître » dans les éditions hollandaises de l’Oraison funèbre de Nicolas Cornet ou du Sermon pour la Profession de Mlle de La Vallière. S’il y a des documens dont l’authenticité doive nous sembler suspecte, ce sont donc ces « éditions » et ces « copies, » quelque intérêt qu’ils offrent par ailleurs. Mais, parce que le langage en est généralement moins correct, et le style moins châtié ; parce que l’on en confond les négligences avec les libertés de l’improvisation ; et parce qu’on en trouve l’habituelle familiarité plus voisine, à ce que l’on croit, des auditoires ordinaires du prédicateur, — dont on ne laisse pas