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L’empereur François approuva ce plan, « qui réservait la plus large part aux événemens. » Le plus difficile était de persuader Alexandre, qui persistait à mener la lutte « jusqu’aux derniers résultats, » à « poursuivre la guerre à outrance, à ne pas transiger avec un ennemi perfide, à détruire ses armées, à renverser son pouvoir. » Il estimait que « le temps ne pouvait qu’offrir aux alliés des chances plus heureuses et décider, à leurs propres yeux, leur supériorité sur l’ennemi[1]. » Metternich lui représenta qu’il ne serait point fait d’« ouverture » en forme, que l’on ne présenterait les bases que d’une façon « non officielle, » à titre d’indications préliminaires, que, cependant, la guerre continuerait, et que l’on resterait maître d’accroître les exigences. Alexandre fit la même objection qu’il faisait naguère aux quatre points : « Si Napoléon, confiant dans les hasards de l’avenir, prenait une résolution prompte et énergique, et acceptait cette proposition afin de trancher ainsi les hésitations ? » Metternich répondit, et c’était sa conviction, que « jamais Napoléon ne prendrait volontairement ce parti. » D’ailleurs, on savait bien que l’on ne s’engagerait à rien, car la négociation ne pourrait s’ouvrir, et la paix définitive se conclure, que du consentement de l’Angleterre. Or, l’Angleterre consentirait-elle jamais à laisser Anvers à la France ? Au pis-aller, on déclarerait plus tard qu’il y avait malentendu avec les Anglais sur les bases préliminaires et qu’on s’accordait, au contraire, pour proposer des bases plus étendues. C’était, au fond, revenir à l’esprit et aux gradations de ce traité d’avril 1805, considéré par Alexandre « comme la pierre angulaire de l’édifice qui s’élevait par les soins communs de la Russie et de l’Angleterre pour la prospérité de l’Europe. »

Alexandre se rendit, mais non sans restrictions, dont la principale était que Napoléon n’accepterait pas. « Répugnant, rapporte un historique russe, à l’idée d’agiter avant le temps une question d’autant plus délicate, » — la déchéance de Napoléon, — « qu’elle n’était pas indifférente aux sentimens personnels d’un de ses plus intimes alliés, » — l’empereur François ; — craignant que, s’il s’opposait à toute négociation, l’Autriche ne renonçât à la marche en avant ; « renfermant dans son cœur le secret de sa pensée, » et subordonnant tous ses arrangemens

  1. Aperçu des transactions politiques du Cabinet de Russie. — Martens, t. II, Notice sur le traité de Chaumont.