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rébellion de Yakoub-Khan à Kachgar. Ainsi l’histoire des relations de la Russie avec l’Empire du Milieu faisait prévoir son intervention en 1895 : la politique d’intégrité était déjà, pour elle, à cette époque, une tradition.

La conséquence et le bénéfice de l’action diplomatique de 1895 fut la prépondérance de l’influence russe auprès du Tsong-li-Yamen et la mise en pratique d’une politique de collaboration avec le gouvernement de Pékin. Avec leur intuition du caractère asiatique et leur expérience du monde jaune, les Russes avaient compris que la dynastie mandchoue, qui superpose son autorité étrangère à l’innombrable peuple chinois, a besoin, pour se maintenir, de s’appuyer sur une force extérieure qu’elle sait récompenser de son concours discret. L’Impératrice régente, tout spécialement en butte aux intrigues de cour, et toujours menacée de quelque soulèvement analogue à celui des Taï-Ping, sentait la nécessité de cette entente avec une puissance étrangère. Li-Hung-Chang fut l’homme qui donna une forme à ce besoin et mit en œuvre cette politique : lors de son voyage à Saint-Pétersbourg, pour le couronnement de Nicolas II, il signa avec le prince Lobanof une convention secrète, déjà ébauchée à Pékin par le comte Cassini, dont les clauses définissaient les bons offices réciproques que le gouvernement du Tsar et celui du Fils du Ciel attendaient l’un de l’autre. La Russie, qui avait su arracher Port-Arthur aux mains des Japonais vainqueurs, obtenait l’autorisation de se servir de ce port et de celui de Kiao-Tcheou, en cas de guerre en Extrême-Orient, pour y abriter et y ravitailler ses flottes ; elle obtenait, en outre, pour ses chemins de fer, la faculté de traverser la Mandchourie. Il n’y avait rien, dans ces articles secrets, qui ressemblât à une prise de possession ou même à une cession à bail ; le gouvernement chinois accordait aux Russes ces facultés parce qu’il attendait d’eux aide et protection, soit contre un ennemi extérieur, soit contre un soulèvement intérieur. Théoriquement et pratiquement, le principe de l’intégrité de la Chine ne recevait aucune atteinte, tandis que la politique d’entente et de collaboration s’affirmait et se précisait.

Sous la haute impulsion. du prince Lobanof et sous la direction de M. Serge Witte et du prince Oukhtomsky, le système russo-chinois créait les organes grâce auxquels la pénétration pacifique de la Russie allait s’accomplir et son influence s’exercer. Avant tout, cette politique devait avoir un caractère