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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 22.djvu/847

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Or la psychologie de Spencer est naturellement gouvernée par l’évolution, la continuité, par l’adaptation au milieu, par la grande loi des correspondances entre les relations internes et les relations externes. La vie est un équilibre entre les actions du milieu et les réactions de l’organisme, la souffrance suivant la blessure, la vision, l’excitation. A travers toute l’étendue de la vie, de l’irritabilité de la matière contractile au raisonnement du mathématicien, on ne pourrait constater autre chose qu’une différence de degré. Les systèmes établis de correspondances sont plus ou moins complexes, plus ou moins étendus dans le temps, dans l’espace, plus ou moins spéciaux, voilà tout. Qu’on la considère du dedans ou du dehors, la conscience est changement, passage d’un état à un autre état : dès que se prolonge un sentiment, une sensation, il y a diminution de leur intensité, effacement. Je me console très vite d’un chagrin qui dure. Ce que je sens et remarque, c’est le passage de l’état d’où je sors à l’état où j’entre, la soudaine transition de la joie à la tristesse ; une conscience immobile est une contradiction et une impossibilité. Et il devient évident que les formes diverses de cette conscience soumise à une nécessité unique ne sont que des distinctions conventionnelles. Instinct, raison, mémoire, perception, conception, imagination, sentiment, volonté, tout cela ne peut être que des groupemens particuliers de relations et d’harmonies, jalonnant la suite ininterrompue d’un même mouvement.

De toutes parts, la psychologie bien entendue aboutit donc à la même conclusion : la conscience, en elle-même, est relation, parce qu’elle est changement ; la conscience, par rapport aux choses du dehors, est relation, parce qu’elle est correspondance : la conscience n’est jamais que relation. Le caractère de la pensée se trouve ainsi défini chez Spencer par la place qu’elle occupe dans l’évolution générale, par la science naturelle. Il est l’auteur très original d’un relativisme biologique.

D’ailleurs il n’a pas méconnu la nécessité de confirmer cette vue génétique par un contrôle logique et, dans cette nouvelle démarche, il semble se rapprocher un moment des disciples de Kant, d’Hamilton, par exemple, qu’il cite abondamment. Mais il ne peut s’en tenir à une analyse formelle de la pensée abstraite, et, si Spencer mentionne Hamilton, c’est pour ne négliger aucun argument. En réalité, on ne peut juger l’esprit qu’à son œuvre : examinons donc, non la pensée, mais le