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L’antipathie des Provinces rhénanes à l’égard de la Prusse, écrivait-il, antipathie qui s’est changée eu haine profonde depuis l’enlèvement de l’archevêque de Cologne, semble augmenter les chances favorables à la France pour sa rentrée en possession de ces provinces. Il se pourrait en effet que des hommes aveuglés par le fanatisme religieux prêtassent leur concours à des projets de conquête… En tout cas, le parti dont nous parlons ne sera jamais très nombreux, car l’opposition religieuse n’est, pour l’immense majorité des habitans éclairés des Provinces rhénanes, que le manteau sous lequel se cachent leur opposition politique contre la Prusse, leurs vœux bien sincères pour la liberté et l’unité de l’Allemagne.


Ainsi les Rhénans, formés d’ailleurs à l’école de Goerres, étaient tout à la fois des patriotes allemands et de médiocres sujets pour le roi de Prusse.

Quant aux Polonais, ils restaient fidèles à leur patriotisme national, au nom duquel ils considéraient la Prusse comme une intruse. Il suffisait, dès lors, que le gouvernement de Berlin dénonçât une sorte d’incompatibilité entre le service du roi de Prusse et l’observance intégrale de la discipline catholique, pour que, sous la pression des consciences, l’esprit particulariste risquât de se réveiller à Münster, de s’échauffer à Cologne, de s’insurger à Posen. Ces Rhénans et ces Westphaliens qui réclamaient la liberté de Droste, étaient ceux-là mêmes qui, en 1848, enverront une députation à Frédéric-Guillaume IV, pour le menacer de se détacher de son royaume, s’il refuse d’être un roi constitutionnel ; ces Polonais qui redemandaient Martin de Dunin savaient que l’idée d’un royaume de Pologne indépendant restait vivace encore, en beaucoup de cerveaux germaniques, comme en témoignera, dans cette même année 1848, l’assemblée de Francfort, en traitant d’injustice le partage de la Pologne. La cohésion de l’Etat prussien, en cet instant du siècle, n’était nullement revendiquée par l’esprit public allemand. Le poète Nicolas Becker, il est vrai, devenait célèbre, d’un bout de l’Allemagne à l’autre, pour avoir signifié aux Français qu’ils « n’auraient pas le libre Rhin allemand ; » mais ce libre Rhin allemand, menacé par les « corbeaux avides » de France, demeurerait-il un Rhin prussien ? Avec anxiété, Frédéric-Guillaume IV pouvait se le demander, et craindre que la guerre de la Prusse contre les âmes ne devînt un obstacle à sa propre grandeur ; et si les conceptions religieuses du nouveau roi, sur lesquelles nous aurons à revenir, ne l’avaient naturellement incliné vers la tolérance, il eût suffi de la raison d’État pour l’y contraindre.