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commença par se débarrasser de l’Orphanotrophe qui, saisi par trahison, fut confiné dans un lointain exil. Puis, croyant avoir gagné la faveur populaire par quelques distributions de vivres et d’argent, ne voyant plus entre lui et le trône que la vieille basilissa, puisque l’autre Porphyrogénète était toujours enfermée dans son monastère, l’audacieux aventurier, vrai monstre d’ingratitude, ne rêva rien de moins que d’expulser Zoé du Palais, pour se faire proclamer seul basileus à sa place. C’est cette tentative extraordinaire que je vais essayer de raconter. Elle constitue un des épisodes les plus étranges et les plus dramatiques de l’histoire byzantine, si fertile en événemens tragiques.

« Michel, — dit le chroniqueur byzantin Skylitzès, — décidé à commettre ce forfait vraiment parricide contre sa bienfaitrice, voulut auparavant tâter encore une fois le pouls à l’opinion publique, surtout s’assurer jusqu’à quel degré il pourrait compter sur les sympathies de la foule urbaine dont la complicité, ou du moins l’abstention, lui étaient indispensables pour mener à bien le crime qu’il méditait. » A la procession solennelle du jour de Pâques, qui tombait, cette année 1042, le 11 avril, il fut fort bien accueilli par la populace, lors de son passage solennel à travers la cité pour se rendre à Sainte-Sophie. Aussi, le dimanche suivant, 18 avril, dimanche de la Quasimodo, décida-t-il d’assister à l’autre grande procession qui se rendait ce jour-là du Palais au temple illustre des Saints Apôtres, panthéon des basileis, aujourd’hui la magnifique mosquée du Conquérant. Il y alla en pompe, revêtu du costume impérial des grands jours, diadème en tête, escorté par la foule immense des sénateurs et des hauts dignitaires. Quel rêve pour cet infime parvenu, hier encore le dernier des inconnus, perdu dans la foule anonyme ! Toute l’infinie population de Constantinople, la Ville gardée de Dieu, l’acclamant, se pressait sur le passage de l’admirable cortège, à travers les rues merveilleusement parées. Seule, la basilissa Zoé était absente, ce qu’expliquait du reste suffisamment l’étiquette farouche du gynécée impérial. Sur le parcours de la procession, les maisons étaient, comme de coutume en ces occasions solennelles, ornées des plus beaux objets d’orfèvrerie en métal précieux, tendues d’étoffes somptueuses brochées d’or et d’argent. Cette fois encore, le jeune basileus, à sa grande joie, fut salué tout le long de sa route par des acclamations enthousiastes. Il semblait vraiment que l’âme de tout ce peuple se fût donnée à