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littéraire[1], s’ingénier, de la même façon, à dénaturer la signification réelle de la personne et de l’œuvre de Pétrarque, pour les rattacher à l’histoire de l’incrédulité moderne : sans compter que, la thèse se trouvant être sinon tout à fait fausse, du moins certainement excessive, et très difficile à soutenir par des preuves formelles, M. Segrè est forcé d’imaginer, pour la soutenir, toute espèce de déductions et de conjectures qui, non seulement ne réussissent guère à nous convaincre de son paradoxe, mais qui nous empêchent encore de profiter, autant que nous le voudrions, de la masse de précieux renseignemens biographiques rassemblés par lui au cours de son travail.


Des deux principales études pétrarchesques que nous offre son nouveau recueil, la première est une comparaison entre le Secret de Pétrarque, — c’est-à-dire ses trois dialogues sur le Mépris du Monde, — et les Confessions de saint Augustin, dont l’œuvre du poète toscan est évidemment inspirée. Après nous avoir rappelé l’admiration constante de Pétrarque pour saint Augustin, M. Segrè analyse en grand détail les fameuses Confessions ; et de cette analyse il conclut aussitôt que, seul des deux ouvrages mis en parallèle, celui de l’évêque d’Hippone exprime un état d’âme véritablement chrétien. Saint Augustin, en effet, nous décrit des passions dont il s’est guéri par la foi religieuse : Pétrarque confesse ses passions, les déplore, mais ne trouve pas la force de s’en affranchir. Il n’en trouve pas la force, d’abord, parce que la foi religieuse « n’a plus, ne peut plus avoir pour son cœur les séductions, ni l’action stimulante qu’elle avait pour le cœur du fils de Monique. » A la sainteté édifiante des Ambroise et des Simplicien ont succédé le luxe et la corruption de la cour d’Avignon ; et, d’autre part, « la conscience de Pétrarque n’a plus la faculté de s’ouvrir aussi docilement ni aussi résolument que celle d’Augustin à la voix du sentiment religieux. » Car « ce courant humaniste dont il s’est fait le champion, et qui aboutira bientôt, en vertu de ses élémens constitutifs, au reniement du dogme, à l’abandon de toute finalité ultra-terrestre, l’a déjà, à son insu, entraîné dans ses ondes. » Tout en restant chrétien, Pétrarque « ressent déjà la fascination d’un monde idéal, contre lequel le christianisme a lutté victorieusement, et qu’il a cru avoir anéanti pour toujours. » En vain le poète s’imagine n’être que chrétien : M. Segrè, qui le connaît mieux

  1. Studi Petrarcheschi, par Carlo Segrè, 1 vol., Florence, librairie Le Monnier.