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de son esprit ? Nous pourrions, en somme, nous accommoder de sa méthode s’il nous permettait d’en user nous-même à notre gré ; mais il y a deux parties différentes dans la définition qu’il en donne : l’une quelque peu négative peut-être mais libérale, l’autre dogmatique et impérieuse. « La libre pensée, dit-il, ne pouvant se contenter d’opinions purement spéculatives qui n’intéresseraient que la pensée individuelle, il lui appartient de fournir une règle de vie aussi bien aux sociétés qu’aux individus… La libre pensée est donc logiquement génératrice d’une science sociale, d’une morale sociale et d’une esthétique sociale qui, en se perfectionnant par les progrès mêmes de la conscience publique, constitueront un régime de justice. » Grand merci : nous voilà fixés ! Nous avons quelque lieu de craindre qu’on ne nous impose cette prétendue justice, sans attendre que les progrès de la conscience publique l’aient suffisamment perfectionnée. Et n’est-ce pas précisément ce qui nous arrive aujourd’hui ?

Au reste, un des votes du Congrès est, à cet égard, plus significatif que la plupart des autres : c’est celui d’une proposition de M. le professeur Haeckel envoyant à M. Combes des félicitations et des encouragemens. Nous voilà loin de la « sérénité bienveillante » de M. Berthelot ; mais c’est à cette conclusion que devait immanquablement aboutir un Congrès tenu aujourd’hui à Rome ; et a-t-il été fait pour autre chose ? Le Pape s’en est ému comme d’une offense, et il ne s’est pas trompé sur les intentions des congressistes : elles étaient offensantes pour la religion qu’il représente. Il a protesté ; il a même ordonné des prières dans les églises pour effacer la profanation commise. Le Pape s’est placé au point de vue religieux : mais, si on se place, comme les libres penseurs eux-mêmes, au point de vue purement humain, on est surtout frappé de la prodigieuse stérilité de ce Congrès. Il n’en est sorti ni une idée, ni un système, ni même une méthode, car celle de M. Buisson n’est pas toute nouvelle. L’avortement, nous allions dire le fiasco, a été complet. Ce n’était vraiment pas la peine d’aller à Rome pour donner un bon point à M. Combes, et il nous semblait que M. le professeur Haeckel avait mieux à faire : il n’a pas encore déchiffré toutes les énigmes de l’univers.


FRANCIS CHARMES.

Le Directeur-Gérant, F. BRUNETIERE.