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ne l’est pas moins, ou il l’est plus encore dans cette pièce à laquelle il a lui-même donné le titre de Discours, comme pour caractériser cette tendance oratoire qui est l’une des formes essentielles de son génie. Et nous devions à sa mémoire, en arrêtant ici cette analyse de son œuvre, de laisser le lecteur sous cette impression de grandeur et de force.

Ses dernières années, sur lesquelles nous n’avons pas autant de renseignemens, ni surtout aussi précis que nous le voudrions, furent tristes[1]. Retiré tout à fait de la Cour, mal payé de ses pensions ou gratifications, pour le règlement desquelles on se sent un peu gêné de le voir employer le crédit de Mlle de Surgères « en récompense de tant de beaux vers qu’il avait faits pour elle ; » titulaire de plusieurs abbayes, mais troublé souvent dans sa jouissance par les incursions des bandes armées qui parcouraient son Vendômois et sa Touraine ; malade et aigri contre un siècle « où il semblait que tout allât en confusion et en ruine, » mais continuant toujours de lire, de composer et d’écrire, — son Hymne de Mercure et son Hymne de monsieur Saint Roch, qui n’ont paru pour la première fois que dans l’édition de 1587, doivent appartenir à cette époque ; — il fit à Paris un dernier séjour, au commencement de 1585, chez son ami Galland, principal du collège de Boncour, pour, de là, se transporter à Croix-Val, et enfin de Croix-Val à son prieuré de Saint-Cosme-en-l’Isle, près de Tours. « Ce prieuré, nous dit Du Perron, est situé en un lieu fort plaisant sur la rivière de Loire, accompagné de bocages, de prairies, et de tous les ornemens naturels qui embellissent la Touraine, de laquelle il est l’œil et les délices… Ne conservant donc plus autre passion, sinon de s’y voir transporter, afin de jouir de cette dernière félicité d’y mourir, et se persuadant que ses os y reposeraient plus doucement, il se fit mettre en son chariot, tout perclus et estropié que je vous l’ai décrit, et, s’étant ainsi acheminé malgré les injures de l’air, travailla tant de cette première traite qu’il alla coucher à trois lieues de là, et l’autre lendemain d’après, qui était un jour de dimanche (17 novembre), arriva finalement à Saint-Cosme sur

  1. On consultera, sur les dernières années de Ronsard, indépendamment de sa Vie, par Claude Binet, dont il faut soigneusement comparer les différentes éditions, et de son Oraison funèbre, par Du Perron, l’intéressant opuscule de M. l’abbé Froger : Ronsard Ecclésiastique, 1882, Mamers ; et dans la collection de la Pléiade française, la Notice biographique de Marty-Laveaux, 1893, Paris.