Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 23.djvu/915

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et une rage menaçantes, à travers le ciel en feu. J’ai assisté à bien des couchers de soleil sous les tropiques, mais je n’ai jamais vu le pareil. Bientôt son éclat inonda de safran les nuages de poussière qui flottent continuellement sur la capitale et illumina les millions d’atomes soulevés du désert de Mongolie. À un tournant imprévu de la voie, ce fut comme si le voile d’or se déchirait pour laisser entrevoir la cité sainte. Le coup de théâtre était parfait, comme si le rideau avait été tiré par la main d’un magicien de manière à montrer la grande porte de Hatamen dans toute sa magnificence. Les fameux murs crénelés, qui furent pour la première fois décrits par Marco Polo, les lourds bastions et la tour en forme de pagode laissaient deviner leur image indistincte, et ainsi plus belle. En fait, ma première impression de Pékin fut celle d’un tableau de rêve. Ce qu’était réellement la ville, par bonheur je l’ignorais encore ; l’imagination ne pouvait être désenchantée par l’expérience. Plus tard, je vis autre chose. Mais le premier jour, la grande cité du puissant Khan m’apparut dans un mirage trompeur. Cette croulante citadelle non seulement d’une nation fameuse, mais, disons-le, de toute une race, le monument de leur art, la Walhalla de leur histoire, flottait dans l’éblouissante splendeur du crépuscule comme une ville d’or bâtie sur des nuages d’or.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


II. — UNE JOURNÉE À SÉOUL


J’arrive sain et sauf à Séoul. C’est le soir, et la lune se lève. Dans l’obscurité, la plus désolée capitale de l’univers apparaît plus désolée encore, plus pitoyable de misère et de détresse. Ma chaise à porteurs descend une longue rue qui a plutôt l’air d’une route. Des deux côtés se dressent de petites maisons ou, pour mieux dire, des huttes, car celles que j’ai vues jusqu’ici ne méritent pas d’autre nom. Après avoir traversé les faubourgs, nous atteignons enfin l’enceinte intérieure. La muraille est irrégulière et grossière, percée de portes peintes que surmontent de petits toits. Je pourrais presque me croire revenu à Pékin, car la scène que j’ai sous les yeux est une réplique en miniature de la grande cité. L’obscurité m’empêche de voir combien en réalité celle-ci est plus petite. L’effet général est le même, avec tous les caractères chinois.