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Regardons-le maintenant dans les grandes œuvres contemporaines : nous ne le verrons plus assis comme la Mika ou la Mynno des stèles antiques, ni accoudé sur la pierre comme la Seianti Thanunia de Chiusi, ni debout et priant comme les « orantes » du Latran et de Ravenne. Il n’a plus la force de méditer comme le prince de Carpi, ni de prier comme le René de Birague. Le mort moderne gît étendu comme les gisans du moyen âge, mais avec une tout autre détente de tous les muscles. Ceux-ci dorment comme gens qui se réveilleront. On sent qu’un jour, ils se lèveront tous : le Hardi comme le Téméraire, le landgrave de Werd, comme le comte d’Evreux. Un jour, ils se retrouveront debout, avec leurs casques, leurs épées, leurs robes pas même déplissées, debout, les pieds dans la meute hurlante et rugissante de leurs lions ou de leurs limiers lâchés à travers les plaines, la tête sous une migration d’anges battant des ailes.

Regardons, au contraire, le Cavaignac de Rude, l’Alexandre Dumas, de M. de Saint-Marceaux, le Baudelaire de M. de Charmoy, les Morts de M. Bartholomé. C’est un sommeil dont on ne se réveille pas. Mesurons de l’œil les reliefs de ces poitrines, de ces membres : jamais il ne fut si faible chez aucun gisant d’autrefois. Les corps aplatis, tassés contre terre, semblent vouloir y descendre, s’y abîmer à jamais. C’est la sensation profonde que donnent les corps de M. Bartholomé, tous refoulés vers le sol, quelques-uns s’y affaissant, écrasés sous un poids invisible se ployant au-delà même de ce que peut être ployée la machine humaine. Qui a disjoint ces mains pointées vers le ciel ou croisées sur la poitrine ? Qui a jeté, de côté, cette épée, dont la pointe ne menaçait plus, mais dont la croix protégeait le cœur ? Qui a renversé cette tête sereine et l’a laissée, la bouche entr’ouverte, par où le souffle s’en est allé ? Cela s’est fait tout seul, sans théorie, sans école, sans parti pris, sans entente. « Comme on a l’air pauvre quand on est mort ! » est le sentiment qui semble avoir modelé toutes ces figures, avec cette lassitude de la vie, si simple, si humaine et si résignée. La résignation est le grand trait de ces figures. Il est le plus vrai. Sans doute, l’homme de notre temps ne tient pas moins à la vie que l’homme de la Renaissance, ni ne montre plus de courage devant la mort, mais peut-être se fait-il une idée moins magnifique des joies de la vie et en a-t-il moins le regret ? Peut-être, son hésitation tient-elle moins à la perte de ce qu’il