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connaît qu’à la crainte de l’inconnu. Peut-être, même, cette crainte est-elle véritablement un peu moindre et la mort lui apparaît-elle, plus souvent qu’autrefois, avant toute autre chose, la fin du monotone recommencement des tristesses humaines et le « repos que la vie a troublé… »

Ainsi a évolué la figure du mort. L’égyptienne est encore à demi prise dans sa gangue de pierre ; à mesure que les siècles passent, elle s’anime, elle se dégage, elle se dresse, s’agenouille. Enfin elle est debout. Et, en vérité, au XVIIIe siècle, elle triomphe. Puis, de nos jours, elle se recouche et s’endort. Enfin, elle rentre peu à peu dans la pierre d’où elle était péniblement sortie, et, par un singulier retour, il n’y a guère plus de reliefs ou d’indications de membres et de formes humaines dans le Baudelaire de M. de Charmoy, par exemple, que dans les basaltes noirs sur lesquels se penchent les égyptologues pour y lire les noms de Tabnith ou d’Esmunazar.


III

Cette impression que laisse en nous la figure du gisant est amplifiée et précisée encore, si nous regardons celles qui lui font cortège, — ce qu’on pourrait appeler la « Mesnie de la mort. » Etre accompagné lors du dernier voyage par les serviteurs, les cliens, l’épouse même, parut longtemps à l’homme une condition de survie. On les sacrifiait donc sur sa tombe. Être accompagné par leurs images, les plus belles possible, se présenter aux générations futures entouré de leurs formes, s’embellir de leur beauté, parut un sort enviable longtemps après qu’eurent cessé les sacrifices et une condition de survie, sinon dans les Champs Élyséens, du moins dans le souvenir des hommes. La tombe égyptienne est une exposition universelle des serviteurs, des richesses, des propriétés, des récoltes du mort, en même temps qu’une histoire de ses guerres et de ses travaux publics. La tombe de Tanagre contient encore tout un petit cortège de danseuses, de marchands ou d’amours. C’est la vie tout entière et de tout un peuple qui s’agite et bourdonne autour du mort. Mais c’est pour lui seul. Toutes ces figures, toutes ces files innombrables de vivans sont tournées à l’intérieur du tombeau, A partir du jour où le mastaba se referme, où le sépulcre est clos, le tableau encyclopédique des conditions humaines est perdu pour les yeux