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pour un pays qui est et que je souhaite, par-dessus toute chose, qui reste toujours le sien. Il n’est que trop vraisemblable que c’est ce qui lui arriverait à Vienne. Je ne m’explique pas davantage ici parce que c’est M. d’Avaray qui vous remettra cette lettre. Vous savez ce que je lui dois : vous savez qu’il est mon ami et le confident de toutes mes pensées. Ainsi, vous sentez que ce qu’il vous dira, c’est comme si je vous le disais moi-même. J’ajouterai seulement que je compte plus sur vos soins que sur toute autre chose pour parvenir au but que je me propose. Mais je vous prie en même temps, Madame, d’être bien persuadée que rien ne peut ajouter aux sentimens que je vous ai voués et qui dureront autant que ma vie[1]. »

Les motifs de l’inquiétude que le Roi confiait à Mme de Tourzel ne pouvaient que le déterminer à tout faire pour que sa nièce n’allât pas à Vienne. Aussi, dès qu’il avait eu connaissance des intentions de l’Empereur s’était-il empressé de lui demander qu’elle lui fût confiée. Son dessein était de l’envoyer à Rome auprès de ses tantes, Madame Adélaïde et Madame Victoire, filles de Louis XV, jusqu’au jour où il lui serait possible de l’appeler auprès de lui. Mais, des premières réponses de la cour impériale, on pouvait conclure que, si juste que fût cette requête, elle l’écarterait par quelque fin de non recevoir, qu’elle voudrait garder la princesse et peut-être la marier à l’un des archiducs frère de l’Empereur. On désignait déjà l’un d’eux, le plus jeune, l’archiduc Charles[2], « esprit borné et santé déplorable » comme destiné à devenir son époux.

Tel fut l’objet des entretiens du Roi et de d’Avaray durant les quelques jours qui s’écoulèrent dans l’attente des nouvelles de Paris, d’Avaray se tenant prêt à partir pour exécuter les ordres de son maître. Le Roi était résolu à ne laisser à personne le soin d’établir sa nièce et surtout à ne pas consentir à ce qu’elle épousât un prince étranger. De ses conversations intimes avec le « confident de ses pensées » naquit le projet de la marier au fils aîné de Monsieur, Comte d’Artois, le Duc d’Angoulême qui venait d’entrer dans sa vingtième année.

En 1789, ce prince avait suivi son père et sa mère à Turin. Par les soins de son grand-père, le roi de Sardaigne, il y avait

  1. Toutes les lettres du Roi sont signées : Louis.
  2. L’archiduc Charles, troisième fils de Léopold II, qui s’illustra bientôt après à la guerre. En 1795, il avait vingt-quatre ans.