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inventer pour être bien sûr de désobliger mon public et de le mettre à la gêne ? J’ai déjà porté à la scène des sujets étranges, bizarres, biscornus ; je ne puis manquer de trouver cette fois un cas tout à fait déplaisant, une situation parfaitement insupportable. » En admettant que telle ait bien été son intention, on ne peut que le féliciter : il a pleinement réussi. Les auteurs dramatiques n’ont guère ménagé nos susceptibilités en ces derniers temps. Ils nous ont donné des pièces brutales, choquantes, révoltantes : nous avons eu rarement à subir un spectacle aussi pénible que celui de ces quatre actes.

Si c’est bien une gageure que M. Bataille s’est proposé de tenir, et si délibérément il s’est amusé à nous scandaliser, il n’y a que demi-mal : il a dans cette regrettable entreprise fait preuve de talent ; on peut donc espérer que, content de son succès, il emploiera mieux une autre fois les dons que jusqu’ici il a gâchés. Ce qui serait fâcheux, ce serait qu’il ne l’eût pas fait exprès. Mais nous ne voulons pas croire qu’il subisse malgré lui une sorte d’obsession, de hantise, de préoccupation morbide qui irait en s’exaspérant.

Maman Colibri est une dame d’une quarantaine d’années, exactement trente-neuf. Les jeunes gens de son entourage l’ont surnommée ainsi à cause de l’agitation perpétuelle, qui lui est, paraît-il, commune avec l’oiseau qui porte ce nom. Elle a des fils, dont un grand garçon qui va se marier. Confidente de ses fredaines, quand elle sort à son bras, elle se réjouit, parce qu’elle a l’air d’être en bonne fortune. Nous n’apprécions pas beaucoup ce genre de satisfaction chez une mère. Elle est pareillement la camarade des amis de ses fils, joue au tennis, fume et plaisante avec eux. Tout cela marque mal, et c’est pourquoi nous sommes désagréablement impressionnés, mais nous ne sommes nullement surpris, quand nous apprenons qu’un de ces gamins, Georget, est son amant. L’auteur n’a pas manqué de ménager un tête-à-tête à Georget et à Maman Colibri et de mettre dans leur bouche des propos qui soulignent tout ce qu’il peut y avoir de vilain dans l’intimité de cette matrone et de cet éphèbe. Par malheur le fils surprend sa mère et son ami dans une attitude embarrassée qui ne lui laisse aucun doute.

Au second acte, le fils, qui méditait de se battre en duel sous un prétexte quelconque avec son ami, est amené, provoqué par sa mère, à s’expliquer devant elle, à lui déclarer qu’il sait tout. Elle rougit, elle a honte, elle s’humilie. Survient le mari. Il a des soupçons. Une conversation avec son fils, et dans laquelle il jette le nom de Georget, achève de l’éclairer. Alors, entre cette femme, ce mari, ce fils, a lieu