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une scène atroce, contre nature, où, mise en demeure de choisir, la quadragénaire énamourée sacrifie réputation, famille et tout enfin, à la folie sensuelle dont elle est dévorée. Cette fois, l’atrocité du spectacle en cache presque l’indécence. Avec un parti pris de brutalité, mais aussi avec une incontestable vigueur, l’auteur a mis en présence les personnages essentiels du drame : il leur a prêté un dialogue âpre, direct, des propos impitoyables. Sans nous laisser respirer, dans une hâte fébrile, avec une volonté de ne rien nous épargner, il a entassé les scènes cruelles, accumulé l’horreur. Nous restons haletans, épuisés, écœurés, brisés.

Maintenant, du reste, l’auteur a donné tout son effort : la pièce ne fait plus que se traîner, et les deux actes qui suivent sont aussi bien inexistans. Nous voici d’abord à Alger où maman Colibri a suivi le jeune Georget qui fait son service militaire. Elle s’est installée avec lui dans une villa dont elle a fait un nid d’amour. Mais ce conscrit est déjà fatigué de sa vieille maîtresse. Celle-ci ne se cramponnera pas. Et maintenant qu’elle a rompu avec son amant, elle ne voit pas d’obstacle à revenir chez son fils et sa belle-fille, un peu gênés d’abord par ce retour inattendu, mais chez qui enfin elle s’installe, pour y tenir l’emploi de grand’mère vénérable. Toute cette fin est l’invraisemblance, la convention et l’ennui mêmes.

Telle est cette pièce à intrigue pénible, au dialogue le plus souvent compliqué et maniéré. La recherche de la sensation rare s’y mêle au désir d’étonner. C’est une combinaison du sombre naturalisme du Théâtre-Libre de jadis avec les raffinemens maladifs de nos esthètes : le genre brutal amalgamé avec le genre décadent. Il reste que l’écrivain qui a mis à la scène le second acte de Maman Colibri pourra devenir un auteur dramatique.

Le rôle de Maman Colibri est tenu par une interprète qui semble choisie à souhait : agitée, affectée, bredouillante, irritante, Mme Berthe Bady a trouvé par instans des effets d’une rare intensité dramatique. M. Lérand, dans le rôle du mari, est excellent de tenue et de dignité triste. M. Gauthier a composé avec beaucoup de tact et de justesse le rôle difficile du fils.


RENE DOUMIC.