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Talleyrand avait si bien aidé à la première qu’il put s’en proclamer l’auteur, de même Fouché contribua puissamment à la seconde. Et si Talleyrand n’avait eu que la peine d’un raisonnement au Tsar et d’une facile manœuvre dans le Sénat, Fouché dut multiplier, pendant quinze jours d’intrigues, toutes les ressources de son exécrable et merveilleux génie. Quand Fouché, le 6 juillet, reçut sa nomination de ministre, il avait tout préparé pour la restauration, mais tout n’était pas accompli. Grâce à lui, la rentrée du Roi dans Paris allait s’opérer pacifiquement, sans contrainte apparente et sans affront. Mais si, au lieu d’avoir Fouché pour soi, Louis XVIII l’avait eu contre soi, son retour aux Tuileries fût devenu, sinon incertain, du moins périlleux et scandaleux. Il aurait dû attendre, ou qu’une révolution royaliste dont le succès était très douteux lui ouvrît les barrières de Paris ensanglanté à son profit, ou que les souverains alliés se décidassent à le réinstaller aux Tuileries manu militari, sous la protection de leurs canons et de leurs baïonnettes. Mal pour mal, humiliation pour humiliation, honte pour honte, il était préférable de nommer Fouché ministre.

Même après le départ de l’armée française, il s’en faut bien que Paris soit converti au royalisme. Non seulement les fédérés et tout le peuple, encore frémissant de colère, s’emportent contre les traîtres qui ont livré la ville aux détestables alliés de Louis XVIII, mais même dans la bourgeoisie et le petit commerce, où la crainte de pis a fait accueillir la capitulation comme un soulagement, on n’est pas disposé à recevoir le Roi sans garanties. On lit à haute voix, au milieu des groupes enthousiastes, l’extrait du Moniteur contenant la déclaration, d’ailleurs très platonique, de la Chambre, que « tout gouvernement qui serait imposé par la force, n’adopterait pas les couleurs nationales et ne garantirait pas les libertés constitutionnelles, n’aurait qu’une existence éphémère. » En même temps, on arrache les affiches de la proclamation : Le Roi aux Français, qui évoque de rouges visions d’échafauds et de fusillades. On ne veut ni représailles, ni retour à l’ancien régime. On dit que l’armée de la Loire suffira à sa propre défense, que tous les individus menacés iront s’y réfugier, que Napoléon en reprendra le commandement. Onze chefs de légion, sur les douze dont se compose l’état-major de la garde nationale, déclarent dans une lettre publique « qu’ils tiennent à honneur le conserver à jamais, la cocarde