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l’espace ; elle n’a plus qu’à rendre ses élémens au grand tout pour servir de matériaux à de nouvelles combinaisons de la vie infinie.


V

Je n’ai mêlé ni réflexion ni critique au tableau qui précède afin de n’en pas troubler l’unité et l’harmonie. J’ai un profond respect pour ceux qui savent mettre les conceptions de leur esprit d’accord entre elles, même quand ils ne me semblent pas les mettre d’accord avec la réalité extérieure. Mais, à mesure que le panorama se déployait, des objections se levaient, je n’en doute pas, dans l’esprit du lecteur. Objections de deux sortes. D’abord parmi les tendances du temps présent, quelques-unes vont à l’encontre de celles que M. Wells croit remarquer et auxquelles il attribue une prépondérance décisive. Puis, au point de vue matériel, l’état qu’il imagine pourrait-il exister, pourrait-il durer ? Peut-on concevoir ce Londres de 33 millions d’hommes, vivant, travaillant, s’amusant et faisant des révolutions sous la cloche qui le recouvre ? Ces objections, on les a adressées à M. Wells et il se les est adressées lui-même. Il a éprouvé le besoin de se corriger et de se justifier, de se donner un démenti sur certains points et, sur d’autres, de réaffirmer, avec des preuves à l’appui, ce qu’il avait affirmé. De là un nouveau groupe d’ouvrages qui sont, eux aussi, très remarquables par leur cohésion logique. Anticipations, The Discovery of the Future (conférence donnée à la Royal Institution) et Mankind in the Making composent jusqu’ici ce groupe particulier. Il diffère du précédent moins par les idées que par la couleur de ces mêmes idées. La philosophie de l’homme arrivé, que l’on entoure et que l’on écoute, n’est pas tout à fait la philosophie du débutant isolé que l’Univers écrase sans le voir, comme c’est la coutume des Univers. On achète les livres de l’écrivain : ce seul fait lui donne une double confiance, en ses forces d’abord, et aussi dans le goût public, dans le train général dont marchent les choses. Tel qui a commencé par le plus noir pessimisme se rassérène et s’épanouit vers quarante ans. Et, à travers ce ton nouveau de bienveillance et de complaisance, on peut distinguer l’accent particulier de la coterie qui, la première, l’a accueilli, consacré, accaparé, et ce ton propre aux femmes qui se sont faites les commis voyageurs de sa