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Rochefoucauld-Liancourt, comprenant 71 arpens de terre, est divisée et vendue en 53 lots. Le Code civil, « cette machine à hacher le sol, » proclame à son tour et fait pénétrer dans les âmes les idées d’égalité ; la loi va jusqu’à imposer le partage des objets de la succession. D’après l’article 826 du Code civil, « chacun des cohéritiers peut demander sa part en nature des meubles et immeubles de la succession. » Il est vrai que, dans la formation des lots, l’article 832 recommande d’éviter le plus possible le morcellement des héritages et la division des propriétés ; mais « il convient de faire entrer dans chaque lot, s’il se peut, la même quantité de meubles, d’immeubles, de droits ou de créances de même nature et valeur. »

On évaluait le nombre des propriétaires à 4 millions en 1789 ; l’administration des Finances estime qu’il s’élève aujourd’hui à près de 8 millions et demi ; mais ces chiffres ne reposent pas sur des données certaines, et la statistique a ses romanciers comme la littérature, elle est une arme à deux tranchans, et trop souvent aussi l’art de faire dire aux chiffres ce qu’on veut qu’ils disent : ce qu’un homme d’Etat appelait « l’art de les grouper. » Du temps où j’étais sous-préfet, un vieux chef de division me fit là-dessus des révélations qui me rendirent un peu sceptique sur cette science, telle que l’entendent les bureaux des préfectures et des ministères, les commissions parlementaires et extraparlementaires.

J’ai lu jadis qu’un collègue de Thiers, et son partisan, lui dit tout doucement pendant un discours : « Mais, monsieur Thiers, vos chiffres sont inexacts. — Je le sais bien, monsieur, reprit l’orateur, mais la majorité est à moi, et, demain, on pourra rectifier mes dires, on ne reviendra pas sur le vote. » M. Paul Deschanel dans son brillant discours de 1897 sur le socialisme agraire, a rappelé ce trait curieux : pendant trente ans et plus, économistes, hommes politiques prirent comme base de leurs travaux et de leur argumentation une statistique des cotes foncières dressée en 1816 sur l’ordre du comte Corvetto, qui fourmillait d’erreurs : ainsi, dans beaucoup de départemens on avait compté deux fois les propriétés bâties.

Il y a une statistique absolue et relative, vraie et vraisemblable, demi-vraie et demi-fausse, philosophique et historique objective et subjective, une statistique du gigantesque et une statistique des infiniment petits : à cette dernière se rattache la