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conscience publique a été trop fort ; il a fallu y céder. Certes M. le général André n’était pas le seul coupable ; il a été le bouc émissaire du péché de tous. Mais enfin on a compris qu’il fallait au moins une victime, et que si on ne l’exécutait pas tout de suite, le ministère succomberait bientôt tout entier. La démission de M. le général André et son remplacement par M. Berteaux ont donc été une mesure de sauvetage. Que sera M Berteaux dans ses fonctions nouvelles ? Qui pourrait le dire ? Il convient de l’attendre à l’œuvre. On l’aurait sans doute beaucoup étonné lui-même si, lorsqu’il est entré dans la vie publique, on lui avait prédit qu’il était destiné à devenir ministre de la Guerre. De son métier, il est agent de change. Mais ce n’est pas la première fois que le parlementarisme opère de ces métamorphoses fantaisistes, et quelques-unes ont réussi. M. Berteaux est un homme intelligent ; il a été rapporteur du budget de la Guerre et de la loi du service de deux ans ; peut-être est-il propre à tout. La première besogne qui s’impose à lui ressemble un peu à celle d’Hercule dans les écuries d’Augias : assainir et désinfecter. Il y a, comme attachée aux murs de son ministère, une odeur de délation à faire disparaître. Y réussira-t-il ?

Comment ne pas dire un mot de la franc-maçonnerie ? C’est elle qui a été, sinon la première instigatrice, au moins l’intermédiaire officiel de la délation. Tous les petits papiers, dont les journaux continuent la publication, sont passés par ses mains. Ils allaient de la rue Cadet à la rue Saint-Dominique. Étendant son réseau sur la France entière, la franc-maçonnerie recueillait partout des informations et s’empressait d’en faire profiter M. le ministre de la Guerre. Comment et auprès de qui se les procurait-elle ? Ceux qui connaissent son recrutement et qui savent de quels élémens mêlés mais généralement médiocres elle se compose, peuvent s’en faire une idée. Il y a, hélas ! des magistrats, des professeurs, des instituteurs, des militaires parmi ces pourvoyeurs du Grand-Orient ; mais le plus souvent ce sont les premiers venus, des cordonniers, des marchands de vins, qui sont pris d’un zèle étrange, et qui, dans le plus bas vocabulaire, envoient au très cher frère Vadécart leurs impressions sur tel ou tel officier. Que valent leurs jugemens ? On le devine. Sur quels faits apparens s’appuient-ils ? On le sait. En somme, pour apprécier la valeur d’un officier, il suffit de dire s’il va à la messe ou non, si sa femme y va ou non, et dans quel établissement congréganiste ou laïque il fait élever ses enfans. Le journal auquel il est abonné est aussi un indice grave. Tout cela rappelle à s’y méprendre le roman chez la portière, avec la naïveté et l’innocence