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en moins. On entre par surprise dans la vie privée de nos officiers pour y découvrir des secrets qui ne regardent personne, et on en tire toutes sortes d’inductions qui n’ont aucun rapport avec leur mérite professionnel ou leur loyalisme politique. Les francs-maçons en jugent autrement. Pour eux, on ne peut pas être un bon officier si on va à l’église, et surtout on ne peut pas être un vrai républicain. Tel est le fond de toutes les notes qu’ils ont fournies par milliers à M. le général André. La lecture en est fatigante à force d’être monotone ; mais, surtout, elle est révoltante lorsqu’on songe aux intentions de ceux qui ont rédigé ces dénonciations odieuses et à l’estime qu’en faisaient ceux qui les recevaient.

Quand ces faits ont été brusquement découverts et éclairés du jour cru de la tribune, la réprobation a été générale, et elle a même pris un caractère si véhément que le ministère a cru devoir s’y associer. Ah ! s’il avait su ? mais il ignorait ces détestables pratiques, à l’exception peut-être de ce pelé, de ce galeux de général André d’où venait tout le mal. On en a fait justice avec une rigueur bien propre à démontrer la vertu des autres. Ces protestations et cette exécution pouvaient dans une certaine mesure couvrir le ministère, non pas le Grand-Orient. Celui-ci, après le premier moment de stupeur, s’est senti acculé et a compris qu’il devait payer d’audace. Le manifeste qu’il a adressé à ses affidés et qui, en tête de toutes les autres signatures, portait celle de son grand maître actuel, reprochait durement leur silence aux francs-maçons parlementaires. Eh quoi ! pas un ne s’était levé de son banc et n’avait bondi à la tribune pour venger l’association des attaques injurieuses dont elle était l’objet ! Le plaisant de la chose est que le grand maître actuel, M. Lafferre, est député lui-même. Comme député, il avait manqué à son devoir ; comme grand maître, il s’y rappelait. Mais il n’était pas sans excuses. Sous la violence de la première impression dont la Chambre était agitée, celui qui serait venu défendre la délation maçonnique aurait été accablé sous les huées. M. Lafferre lui-même n’aurait pas échappé à ce traitement, en dépit de tous les gestes de détresse qu’il aurait pu multiplier à la façon des vieux télégraphes optiques. Il s’est donc tu très prudemment. Mais deux ou trois jours après, les francs-maçons ont repris du cœur et ont rédigé leur manifeste : le papier souffre tout. Les frères ont donc été sommés de se serrer autour du temple et d’en défendre bravement les abords : faute de quoi, s’ils étaient députés ou candidats, ils seraient abandonnés aux élections prochaines : on les combattrait même, on leur susciterait des