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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 24.djvu/718

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concurrens. « Les ateliers, disait le manifeste sur un ton de Jupiter tonnant, les ateliers ont l’œil sur vous ! » Et que fallait-il faire pour échapper à la foudre prête à frapper ? Déclarer envers et contre tous que la franc-maçonnerie, en dénonçant les officiers suspects, avait usé d’un droit et rempli un devoir. La République, en butte à des adversaires sans scrupules, devait avoir aussi des amis sans préjugés. Tout cela était dit avec un cynisme tranquille. Désormais les francs-maçons parlementaires connaissaient leurs obligations : allaient-ils les remplir ? Ils n’en ont rien fait, et M. Lafferre lui-même a remis à plus tard les explications qu’il devait donner. Il les a pourtant confiées à un journal et elles n’ont rien ajouté, ni retranché, au scandale du manifeste. Nous avons aujourd’hui que la franc-maçonnerie ne regrette rien, et qu’elle regarde comme une de ses attributions essentielles le soin de préparer pour le gouvernement des petites notes dont il devra tenir le plus grand compte. S’il ne le faisait pas, il lui en cuirait.

Mais qu’en pense le gouvernement lui-même ? Qu’en pense M. le président du Conseil ? On le lui a demandé ; il a répondu qu’il le dirait dans une circulaire adressée à ses préfets, et, pendant quelques jours, on a attendu cette circulaire, qui a semblé lente à venir. M. Combes éprouvait quelque embarras à l’écrire. Il devait, au moins en apparence, prendre des mesures contre la délation qu’il avait désapprouvée à la tribune, et cependant ménager les francs-maçons qui l’avaient approuvée dans leur manifeste. La circulaire ne pouvait évidemment pas être le contraire du manifeste. Après avoir donné aux francs-maçons une force devenue redoutable, le gouvernement craignait de se briser contre elle s’il la heurtait de front. Sa circulaire s’en est ressentie. Elle est courte, sèche, pleine d’équivoques. Après l’avoir lue, on se demande si M. le président du Conseil a voulu réellement réprimer la délation ou du moins la restreindre : en fait, il lui a donné ce qui lui manquait jusqu’ici, un titre officiel et une organisation.

Il pose d’abord en principe qu’un des devoirs essentiels de leur charge est, pour les préfets, « d’exercer une action politique sur tous les services publics, et de renseigner fidèlement le gouvernement sur les fonctionnaires de tous ordres et sur les candidats aux fonctions publiques. » Soit ; les préfets ont toujours servi à cela ; cependant, on n’avait pas encore appuyé aussi fortement, aussi lourdement que M. Combes sur leur rôle d’agens de renseignemens. Ces renseignemens, en tant qu’ils portent sur des personnes, sont toujours délicats à se procurer et à fournir : il y faut beaucoup de tact, de mesure et de discrétion. Toutefois le gouvernement ne saurait s’en passer, et