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La question se trouvait compliquée par une difficulté délicate et grave. On sait quel concours la Principauté avait prêté à la Russie durant la guerre, et cependant le Cabinet de Pétersbourg exigeait qu’elle lui abandonnât la partie de la Bessarabie que le traité de Paris avait réunie au pays moldave. Les instances des représentans russes indiquaient clairement la volonté du Tsar ; ils laissaient même entendre que cette concession était liée dans leur pensée aux clauses essentielles du traite futur, et que leur adhésion finale, en cas d’échec, demeurait douteuse. Mécontenter à ce point la Russie, au moment où elle avait déjà accepté et devait consentir encore de pénibles sacrifices, semblait donc à la fois discourtois et dangereux. D’un autre côté, la Roumanie invoquait un acte européen, l’origine roumaine de la province en cause, et aussi les services éclatans qu’elle venait de rendre à cette même Cour qui prétendait la déposséder : enfin la Dobrutscha qu’on lui offrait en échange, aux dépens soit des Turcs, soit des Bulgares, ne lui semblait qu’une compensation insuffisante. Le litige se présentait ainsi sous une forme assez embarrassante : lord Beaconsfield défendait le traité de 1856, moins par scrupule, je crois, que pour donner plus de prix à son assentiment éventuel ; le prince Gortchakof faisait appel à la souveraineté du Congrès ; la nationalité de la Bessarabie était systématiquement écartée du débat.

Néanmoins, l’opinion des plénipotentiaires était faite. Leurs intérêts directs n’avaient rien de commun avec cette affaire et ils voulaient avant tout éviter de froisser le Tsar et d’amener des discussions orageuses. Ils résolurent, il est vrai, d’écouter en séance le plaidoyer des délégués roumains, mais je plaignais, à part moi, MM. Bratiano et Cogolniceano en les entendant développer leur argumentation judicieuse et illusoire. Ils avaient au surplus l’air fort tristes l’un et l’autre et n’accomplissaient assurément leur mission que par devoir et sans aucune espérance. A peine en effet eurent-ils quitté la salle que la Bessarabie fut adjugée aux Russes et la Dobrutscha à la Principauté. Tout au plus M. Waddington parvint-il à faire donner à la Roumanie le petit district de Mangalia et l’île des Serpens : c’était une maigre consolation.

Ainsi, par cette série de décisions, l’assemblée affirmait de plus en plus sa toute-puissance. Mais c’est ici qu’après l’avoir constaté, nous avons à reconnaître qu’il y avait à côté des vingt personnages qui siégeaient dans la grande salle du palais Radziwill