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encore : le rôle du vieux Briant, père de Lucien Briant, semble bien n’avoir été introduit dans la pièce que pour représenter l’étroitesse des idées d’autrefois, en contraste avec la largeur de celles d’aujourd’hui. C’est l’opposition de deux morales : les mœurs se sont adoucies ; la situation de l’enfant naturel s’est beaucoup améliorée depuis quarante ans. Telle est la merveille de cette pièce, où n’ayant pas voulu traiter le problème de l’enfant naturel, l’auteur presque tout le temps et sauf épisodes qui font hors-d’œuvre, ne nous parle pas d’autre chose.

Si dans Notre Jeunesse la situation n’est pas neuve, M. Capus estimait, et à juste titre, qu’on pouvait la renouveler par les caractères et les sentimens. Il s’est surtout appliqué à ce que les deux personnages principaux, Lucien Briant et sa femme Hélène, fussent éminemment contemporains. Lucien serait, à ce compte, un type général et représentatif ; il personnifierait une forme de la iâcheté qui est spécialement d’aujourd’hui : la crainte des responsabilités et, comme dit M. Henry Bordeaux, la peur de vivre. Nous nous attendons à le voir tenir une conduite dont il n’y a pas d’exemple avant les temps modernes, inouïe jusqu’à notre époque. Or ce Briant nous est donné pour un homme bien résolu à ce que les souvenirs de ses gaietés de jadis ne viennent pas troubler le sérieux de sa vie actuelle. Quand il apprend qu’il lui est poussé tout d’un coup une fille de vingt ans, il n’en éprouve aucune satisfaction. Il songe, non pas du tout au sort de celle qui fait dans son existence cette malencontreuse irruption, mais à lui-même et à la série des ennuis qu’il prévoit. Il craint de se brouiller avec sa femme, avec son père, avec l’opinion. Nous voudrions que ce fût là un phénomène extraordinaire et sans précédens. Mais, hélas ! Briant est un égoïste : il n’est pas le premier ; il obéit exactement aux mêmes mobiles qui, dans tous les temps, et depuis qu’il y a des enfans naturels, ont empêché les pères de remplir vis-à-vis d’eux leurs devoirs.

Tout l’effort de l’auteur a du se porter sur le rôle de Mme Briant. Car, puisque Briant ne sait que gémir et lever les bras au ciel, et puisque son rôle, tout passif, est aussi peu dramatique que possible, c’est Mme Briant qui conduira les événemens. L’étude de son caractère permettra d’opposer la sensibilité féminine à l’égoïsme masculin. On nous montrera en elle une femme qui est bien d’aujourd’hui. Ce sera le personnage essentiel et original, celui qui donnera à la pièce sa portée. Nous ne demandons pas mieux ; et voyons donc comment le caractère est posé.