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« Ma très chère cousine, disait la première, vous m’avez autorisé à vous écrire souvent et c’est une permission qui m’est trop précieuse pour que je n’en profite pas. Si je ne consultais que moi, j’en ferais mon occupation de tous les jours.

« Les sentimens que mon aimable et bien chère cousine m’inspire sont tout à la fois mon bonheur et mon tourment. Je ne peux voir sans une peine bien vive tant de retardement dans l’espoir qui m’occupe sans cesse. Il me semble que c’est m’arracher des jours que je voudrais pouvoir consacrer à votre bonheur.

« Le ciel, en préservant aussi miraculeusement les jours de notre oncle de l’effroyable danger qu’il a couru[1], nous donne l’espérance que la Providence veut enfin mettre un terme aux rigueurs qu’elle a si terriblement exercées contre nous. Je vous laisse à penser, mon aimable cousine, à qui dans cet espoir général, j’adresse celui particulier que j’en conçois pour moi.

« Adieu, ma bien chère cousine, je voudrais bien que votre cœur pût lire dans le mien le tendre hommage et l’attachement éternel de votre bien affectionné cousin[2]. »

Ce langage est encore bien réservé, bien timide. On devine les tâtonnemens du jeune prince qui s’essaie au métier d’amoureux et qui craint également de déplaire en disant trop ou en ne disant pas assez. Dans la seconde lettre, il est plus maître de lui et plus audacieux aussi. Il s’exprime franchement, sans détours, encouragé sans doute par sa fiancée.

  • « Ma très chère cousine, si j’avais quelque influence sur la direction des postes, celle de Vienne ne serait pas aussi longtemps à transmettre vos lettres jusqu’ici. Je viens seulement de recevoir celle du 26 décembre. Il me serait difficile de vous dépeindre tout ce que votre aimable bonté me fait éprouver de bonheur. Il faut, ma bien chère cousine, que j’aie la bouche collée sur les lignes que votre main a tracées, pour que ce sentiment passager du bonheur arrive jusqu’à moi. Puis-je en espérer un véritable, tant que ma cruelle inaction durera, tant que je serai séparé de celle qui occupe toutes mes pensées ?

« M. de Rivière, en vous parlant de moi, ne vous a pas, à beaucoup près, rendu un compte fidèle, s’il ne vous a pas dit combien cette vie inutile m’est insupportable. La gloire et mon

  1. Allusion à l’attentat de Dillingen.
  2. Bien que cette lettre ait été déjà publiée, elle était trop bien à sa place ici pour que j’aie pu hésiter à la reproduire.