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cachent. Cela lui donne dans la comédie mondaine une incontestable supériorité. Et elle s’en amuse. Ce qui l’intéresse c’est de jouer un rôle et de tromper, d’être prise pour confidente par celle dont elle est la pire ennemie, et pour conseillère par l’enfant qu’elle travaille à perdre. « À mon réveil je trouvai deux billets, un de la mère et un de la fille ; et je ne pus m’empêcher de rire en trouvant dans tous deux littéralement cette même phrase : C’est de vous seule que j’attends quelque consolation. N’est-il pas plaisant, en effet, de consoler pour et contre, et d’être le seul agent de deux intérêts directement contraires ? » Elle trouve, dans ces manèges de l’intrigue, la seule distraction qui convienne à sa nature compliquée. Du jour où elle désespère de former en Cécile Volanges une intrigante à sa ressemblance, elle s’en désintéresse. « Tandis que nous nous occuperions à former cette petite fille pour l’intrigue, nous n’en ferions qu’une femme facile. Or je ne connais rien de si plat que cette facilité de bêtise qui se rend sans savoir ni comment ni pourquoi. » L’intrigue est en effet un remède tel quel contre l’ennui. Et voilà bien la plaie qui ronge ces existences de désœuvrés, le mal secret d’une Merteuil aussi bien que d’un Valmont. « Je m’ennuie à périr ! » Ce soupir qui lui échappe, comme il faisait à tant de ses contemporaines, n’est pas une excuse à sa perversité ; mais il nous révèle son intime détresse.

En créant ces deux types, Laclos s’est référé aux plus purs procédés de l’art classique, qui consistent à accumuler sur une seule tête les traits empruntés à divers individus. Il a voulu que ses personnages fussent largement représentatifs, et que toute une catégorie d’individus pût se reconnaître en eux. De même il s’est efforcé que son livre fût une sorte de répertoire complet, de manuel et de bréviaire du libertinage. « J’occupe mon loisir à composer une espèce de catéchisme de débauche à l’usage de mon écolière, » dit quelque part Valmont. Il y a dans les Liaisons dangereuses un certain air dogmatique, un ton professoral, qui est aussi bien ce qui achève de les rendre tout à fait déplaisantes. L’auteur prodigue les maximes, vérités générales et sentences d’une sorte de philosophie de mauvais Heu. Au surplus on devine qu’il ne peut avoir des hommes et des femmes qu’une opinion détestable. Il ne leur marchande pas l’expression de son mépris. « Voilà bien les hommes ! tous également scélérats dans leurs projets, ce qu’ils mettent de faiblesse dans l’exécution, ils l’appellent probité. » On extrairait du livre de Laclos un grand nombre de ces maximes à la Chamfort.

Les Liaisons dangereuses eurent un grand succès. Ce fut le livre à