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La conclusion se dégage tout naturellement ; il faut faire ce que le Code civil n’a pas fait. Mais elle prend tout de suite le tour interrogatif : ce que le Code civil n’a pas fait en 1804, comment, sous quelle forme vaut-il mieux le faire en 1905 ? Le point de départ seul est certain : cela manque dans le Code civil (et peu importe qu’il s’agisse d’une simple lacune ou, comme le prétendent quelques-uns[1], d’une omission voulue). Mais ce qui manque dans le Code civil, et ce qu’il est devenu indispensable de mettre quelque part, où vaut-il mieux le mettre : dans le Code civil ou dans un code particulier, dans un code nouveau de ce droit nouveau ? Les deux solutions peuvent se défendre. Un économiste de haute valeur, M. Auguste Béchaux, laisse clairement apercevoir ses préférences pour celle qui placerait le droit du travail dans le Code civil, c’est-à-dire dans le droit général de la nation. Et l’on en devine la raison : il a peur de ce que John Stuart Mill, mal dégagé de l’influence de Bentham, condamnait, à juste titre du reste, sous le nom de « législation de classe. » Dans le droit commun de tous les Français, pas de droit particulier à telle ou telle classe de Français. Mais l’argument aurait plus de force si tout le monde, et M. Béchaux le premier, ne convenait que le Code de 1804 n’est qu’un code « bourgeois, » le code de la propriété, et par conséquent, lui aussi, un code de classe. D’ailleurs, à vouloir introduire de force toute cette substance nouvelle dans cette enveloppe ancienne, à faire circuler cette sève bouillonnante sous cette écorce séchée et craquelée, on ne rajeunirait pas le droit ancien, on risquerait d’étouffer le droit nouveau ; on n’élargirait pas le Code civil, on le ferait plutôt éclater. Si, en dehors du souci de ne pas tomber dans les périls d’une « législation de classe, » on est guidé par le souci artistique de conserver, de respecter le monument qu’est, malgré ses défauts, le Code de 1804, même dans ce cas, et je dirais volontiers dans ce cas surtout, il ne saurait y avoir d’inspiration plus fâcheuse que de l’allonger de cette annexe : ou de le surcharger de ce deuxième étage : jamais époques et styles n’auraient autant juré ; dans l’aménagement intérieur, jamais soupentes et mansardes n’auraient été plus incommodes. Introduire le droit du travail dans le Code civil, c’est fort bien, mais où, sous quel titre ou à quel chapitre ? Si l’on en fait un livre à

  1. M. Hubert-Valleroux, le Code civil et son centenaire, Société d’économie sociale, séance du 18 avril 1904.