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était passé au crible, lui avait rappelé plus d’une fois que ses contradicteurs eux-mêmes lui reconnaissaient volontiers tous les dons, hormis celui de la mesure. Mais n’eût-on pas bien étonné un saint Bernard, bien affligé une sainte Catherine de Sienne, ainsi que le fait remarquer le cardinal Perraud, si on leur eût reproché les avertissemens, les doléances véhémentes que leur arrachaient les périls courus par l’Eglise ? Montalembert pouvait invoquer la droiture de ses intentions et la sincérité de sa foi, et Pie IX ne s’y trompait pas. Il savait de quels sentimens et de quels principes, de quel dévouement filial s’inspirait ce grand chrétien. C’est pourquoi, tout en regrettant et désapprouvant le langage tenu par lui en quelques occasions, il se refusa toujours à l’en blâmer publiquement. Mais en dehors des manifestations officielles, il y avait eu, quelques mois avant la publication de l’Encyclique Quanta Cura une manifestation officieuse dont il est temps de parler. Elle était restée ignorée du public. Le P. Lecanuet l’a révélée récemment. Montalembert apprit, au mois de mars 1864, d’une manière confidentielle, par le cardinal Antonelli, répondant à une de ses lettres, les regrets et les réserves du Pape à son sujet. La forme de cette communication était discrète et toute paternelle, et elle n’avait pas empêché, paraît-il, le cardinal qui la signait, d’émettre la pensée que, dans dix ans, bien des idées, dont on s’étonnait alors, seraient d’un langage courant.

Rien, cependant, ne saurait rendre la douleur qu’éprouva Montalembert en recevant cette lettre. Après trente-cinq ans de luttes, de sacrifices, de patience, d’épreuves de toutes sortes, il se sentit atteint au point le plus sensible de son être. Mais plus la blessure fut profonde et cruelle, plus on doit admirer l’esprit de soumission et de vénération qui dicta sa réponse. Il ne faisait au surplus que s’inspirer de l’attitude qu’il avait prise avec éclat, lorsqu’un ancien ministre[1], qui avait été son collègue à l’Assemblée nationale, l’engageait à protester contre certaines tendances de la cour de Rome, et à décliner toute solidarité avec une politique religieuse qui consacrait, disait-il, le divorce de l’Eglise et de la société contemporaine. Il y avait répondu avec une émotion indignée, se récriant à la seule hypothèse qu’il pût, lui soldat, se révolter contre son chef, lui fils, se révolter contre

  1. M. de Malleville.