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son père. Jamais le fait d’obéir à l’Église ne lui parut incompatible avec l’indépendance vraie ; il aimait à répéter cette pensée de Vinet, objet fréquent de ses méditations : « Accepter une autorité est un fait de liberté. »

Ce sont aussi les sentimens qu’il témoignait lors du Concile, manifestant son opinion propre tant qu’il le pouvait faire en toute liberté, mais prêt à s’incliner devant les décisions de l’Église. Il avait toujours cru à l’infaillibilité ; il ne s’élevait que contre ceux qui réclamaient une infaillibilité indéterminée, illimitée, universelle, que le Concile n’a pas sanctionnée.

Cependant, toutes ces souffrances morales devaient être, hélas ! bientôt aggravées par un mal soudain et implacable. Il en ressentit les premières atteintes en 1866. Une pierre s’était formée dans les reins, et avait donné lieu à un abcès. On ne put en avoir raison par les moyens ordinaires, et les complications allèrent depuis cette époque toujours en grandissant.

Montalembert connut alors les heures les plus sombres, les plus terribles de sa vie. Méconnu, trop souvent calomnié, conscient des dangers de l’Église et ne pouvant y remédier, refoulé dans l’obscurité, l’impuissance et un sombre tête-à-tête avec la douleur physique, il lui sembla qu’il était tombé dans un abîme véritable. Il éprouva ces angoisses dont parle l’Écriture, où la vie semble tomber goutte à goutte dans le vide de l’âme : cadit vita guttulis amarissimis. La souffrance parfois lui arrache des cris qu’on peut prendre pour des murmures ; mais, en réalité, ce qui seul domine tout, c’est l’acceptation généreuse de l’épreuve et du sacrifice, la foi toujours croissante. « Mon Dieu, s’écrie-t-il souvent, je veux tout, j’accepte tout, j’unis mes douleurs à celles de mon Sauveur, » et il demande à ses amis de prier pour que ses fautes lui soient pardonnées. Plus il est attaqué, abreuvé d’amertumes, plus grandit son attachement à l’Église. « Jamais je ne me suis senti autant de tendresse et de respect envers l’Eglise, disait-il à l’abbé Besson en 1869. Je veux vivre et mourir, dites-le bien, dans le sein de l’Église catholique, apostolique et romaine. Je ne suis pas théologien, je ne suis pas philosophe, c’est au point de vue politique et social que je m’occupe des questions religieuses. Je le fais avec toute chance de me tromper, et en laissant à l’autorité compétente le droit et le devoir de me reprendre. »

Son état de santé, si pénible qu’il fût, n’avait pu l’amener à