Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 25.djvu/885

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
III. STACE


« Superstitio. »

Je te voyais danser en mon miroir de cuivre
Où tu te reflétais, légère, au fond des bois :
L’esclave qui prédit les sorts a, par trois fois,
Jeté les dés où tient tout le secret de vivre ;

Toujours, petite et blanche au tain du vieux miroir,
Tu dansais, parmi l’or du cadre emprisonnée,
Sur le fond rose et vert de la chaude journée
Où les arbres déjà bleuissaient dans le soir.

Tes seins menus pointaient sous la tunique étroite,
Et tu mordais parfois une grappe en riant ;
Nul éclair n’a lui, brusque, au bord de l’Orient,
Nul corbeau n’a volé, rauque, de gauche à droite ;

Du soleil sur le front et des branches autour,
Tu dansais, forme brève encor diminuée ;
Et, sous le ciel sans ombre et même sans nuée,
Les sorts ayant trois fois agréé notre amour,

Je t’aime, dangereuse enfant, depuis ce jour.


BONHEUR


Cannes, 5 janvier 1903.

Le vent de la nuit tiède erre sur nos visages
Comme un furtif baiser de lèvres invisibles,
Et toute l’âme éparse au fond des paysages
Coule avec lui sur nous en longs ruisseaux paisibles.

Traînant ses bruits où chante une langueur sereine,
Et plus beaux de sembler parfois un peu funèbres,
La mer qu’on ne voit pas et qu’on entend à peine
N’est plus qu’un grand soupir lointain dans les ténèbres.