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étudiant pour son compte, tantôt dirigeant dans leurs classes les fils de la maison. Sans doute ce ne fut que plus tard, — et nous verrons à quelle incomparable école, — qu’acheva de se former son goût, de se développer son esprit ; mais le vernis brillant qu’elle acquit par la suite reposait sur ce fonds solide que donne seule l’instruction reçue dans la jeunesse. « Elle n’était pas savante, dit l’un de ses contemporains, elle était instruite… Elle savait l’anglais, l’italien, et elle possédait la littérature de plusieurs autres langues dans nos meilleures traductions. Elle savait surtout parfaitement sa propre langue. Je n’ai jamais connu à personne comme à elle le don précieux du mot propre ; elle s’était nourrie de Racine, de Voltaire, de La Fontaine ; elle les savait par cœur[1]. »

L’année d’après l’installation de Julie à Champrond, M. et Mme de Vichy furent passer l’hiver à Paris ; à leur départ, ils lui confièrent la garde de leurs enfans. Si jeune encore elle-même, il lui fallut, sans aide et sans conseils, diriger trois pupilles, dont le plus vieux avait dix ans à peine, tandis que le dernier était encore au berceau. Elle se voua sans murmure à cette maternité précoce. Il est d’ailleurs à remarquer que, toute sa vie, elle eut un goût marqué pour les enfans, dont elle comprenait la nature et dont elle admirait la grâce : « Si vous les aimiez un peu plus, écrira-t-elle à Guibert, je vous dirais que je crois avoir observé que ce qui plaît à un certain point a toujours quelque analogie avec eux ; ils ont tant de grâce, tant de moelleux, tant de naturel ! Enfin Arlequin est un composé du chat et de l’enfant, et jamais y eut-il plus de grâce ? » En cette saison de 1749, la manière dont Julie gouverna son petit royaume la fit adorer des enfans ; et les parens eux-mêmes, si froids d’ordinaire avec elle, ne se défendirent pas d’exprimer quelque gratitude : « Ils m’en firent des éloges infinis, écrit trois ans plus tard la marquise du Deffand ; ils me dirent toutes les obligations qu’ils lui avaient, les soins qu’elle se donnait pour l’éducation de leur fille… »

Ce fut cependant pou après le retour des Vichy que les rapports s’aigrirent. Sur ce qui provoqua cette mésintelligence, qui rendit graduellement la vie commune insupportable et fit de Champrond un enfer, nous n’avons que des données vagues et

  1. Éloge d’Eliza.