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REVUE DES DEUX MONDES.


A Madame H. Taine.
19 mars, 4 heures du soir.

Un gouvernement nouveau s’est installé à l’Hôtel de Ville, et appelle les citoyens à de nouvelles élections communales. Les noms de ces intrus sont tout à fait inconnus, sauf Assi[1], l’ouvrier meneur du Creusot, et Lullier[2], le lieutenant de marine fou. L’Assemblée et tous les ministres sont à Versailles avec des troupes. Aucune nouvelle d’eux ; il est probable que les insurgés ont coupé les communications. Je viens de voir le secrétaire général de l’Instruction publique[3] ; il n’avait reçu aucune instruction de Versailles.

L’infanterie de ligne est très mauvaise, et fraternise tout de suite avec les émeutiers. Nous avons causé avec des gardes nationaux du Ier arrondissement, à la mairie. Ils ne pactisent pas avec l’émeute, mais refusent d’accepter d’Aurelie de Paladines[4], un chef nommé par le gouvernement ; ils veulent élire leur chef. — Il y a connivence ou étourdissement général de ceux qui ne sont pas insurgés. Le siège de Paris a troublé, exalté toutes les têtes.

Barricades à Montmartre et autour de l’Hôtel de Ville ; mais tout le reste de la ville, chez nous, les quais, rue Richelieu, rue Lafayette, les boulevards, etc., sont comme à l’ordinaire : gais, animés ; marchands, femmes en toilette, enfans, groupes bavards, flâneurs.

J’ai vu quantité de personnes, l’impression est plutôt que ce gouvernement impromptu va s’user, que Montmartre est divisé en plusieurs factions, que les noms affichés sont des comparses indiquant l’hésitation des vrais chefs : Blanqui[5], Flourens[6], peut-être Victor Hugo, Louis Blanc. — Le danger est que les Prussiens qui sont à Saint-Denis ne veuillent entrer.

Que fera l’Assemblée ? — La conclusion visible, c’est Paris

  1. Assi (Adolphe-Alphonse) membre de la Commune de Paris, né en 1840, mort à Nouméa en 1886.
  2. Lullier (Charles-Ernest), 1838–1891.
  3. M. Saint-René Taillandier, de l’Académie française, 1817–1819.
  4. Le général d’Aurelle de Paladines (1804–1877), le vainqueur de Coulmiers.
  5. Blanqui (Louis-Auguste), 1805–1881.
  6. Flourens (Gustave), né en 1838, tué à Chatou le 3 avril 1871.