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dans les quelques passages, d’une douceur attendrie, où il fait allusion à elle dans ses lettres à la marquise : « Dieu vous devait la consolation que vous donnent les soins de Mlle de Lespinasse… Par elle, vous retrouvez des yeux, et, ce qui est plus nécessaire encore, elle exerce la bonté et la sensibilité de votre cœur. Je me sais bon gré de l’opinion que j’ai d’abord conçue d’elle, et je vous supplie de continuer à me ménager quelque part à sa bienveillance. »

Moins dévouée peut-être, mais non pas moins utile, fut une autre amitié que nous voyons accueillante aux débuts de Mlle de Lespinasse. Où trouver en effet une meilleure conseillère mondaine, une plus experte directrice dans ce labyrinthe compliqué, hérissé de pièges et d’embûches, qu’on nommait alors un salon, que celle à qui, par un tacite accord, ses contemporains décernaient le sceptre de la mode et la royauté du bon ton, la maréchale de Luxembourg ? Plus que légère en son jeune âge, jusqu’au point d’avoir fait scandale à la cour du Régent, elle avait su, à force de hauteur, d’heureuse audace et de diplomatie, non seulement effacer ce passé orageux, mais s’établir l’arbitre sans appel des bienséances, du savoir-vivre et de la politesse. « Son empire sur la jeunesse des deux sexes était absolu, dit le duc de Lévis ; elle contenait l’étourderie des jeunes femmes, les forçait à une coquetterie générale, obligeait les jeunes gens à la retenue et aux égards. C’était chez elle que se conservait intacte la tradition des manières nobles et aisées. » Médiocrement instruite, mais douée d’un instinct infaillible et d’une délicatesse de goût, plus rares et plus précieux que toute l’érudition du monde, « pénétrante à faire trembler, » trouvant toujours, pour caractériser un manquement aux convenances, le trait juste et cinglant qui courait le lendemain d’un bout à l’autre de Paris, la maréchale était tout à la fois redoutée pour ses rigueurs et recherchée pour sa bonne grâce ; car cette railleuse impitoyable était, à l’occasion, la plus délicieuse séductrice. Elle sut apprivoiser jusqu’à Jean-Jacques Rousseau : « Ses flatteries, dit-il, sont d’autant plus enivrantes qu’elles sont plus simples. On dirait qu’elles lui échappent sans qu’elle y pense, et que c’est son cœur qui s’épanche, uniquement parce qu’il est trop rempli[1] ! »

Ainsi se montra-t-elle à l’égard de Julie. Mme de Luxembourg

  1. Confessions.