Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 27.djvu/162

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

insuccès. Suivant le cours de la Seine, il descendait le fleuve, de la Normandie jusqu’à la mer. C’était là pour lui une contrée bien différente de celles qu’il avait explorées jusqu’alors. Aussi, en présence de ses ciels plus lumineux et plus animés, de ses herbages éclatans et plantureux, de ses cours d’eau s’écoulant paisiblement dans de riantes vallées, il avait éclairci sa palette un peu assombrie par l’Auvergne. Ses principales stations nous sont connues par les nombreuses études qu’il fit à ce moment et qu’il garda dans son atelier jusque vers la fin de sa vie : les Andelys avec le Château-Gaillard et les belles sinuosités de la Seine ; les environs de Rouen ; Granville et sa plage mélancolique, semée de rochers épars et bordée de falaises dont les folles herbes, ondulant sous la brise, veloutent les contours.

Ravi de cette première campagne, Rousseau retournait l’année d’après en Normandie, et poussait jusqu’au Mont-Saint-Michel où il faisait un séjour. La sauvage beauté de cet îlot surgissant au milieu de la grève et la majesté des constructions étagées sur ses pentes l’avaient profondément frappé. Avec une conscience extrême, il s’appliquait à exprimer l’accord de cette nature grandiose et de cette architecture à la fois si riche dans ses détails et si imposante par sa masse. C’est au Mont-Saint-Michel qu’il faisait la connaissance du paysagiste Ch. de La Berge (1805 + 1842), et la ténacité, les scrupules d’exactitude que celui-ci apportait dans le rendu minutieux de la réalité ne laissaient pas d’avoir sur lui quelque influence. À son exemple, mais avec plus d’ampleur, Rousseau s’efforçait de pousser plus à fond ses études. Sans perdre de sa précision, sa facture, jusque-là un peu âpre, devenait plus souple. Il apprenait aussi à mieux choisir ses motifs, à conserver nettement à chacun d’eux son caractère particulier. Le labeur obstiné auquel il s’était livré devait porter ses fruits, et la Côte de Granville, qu’il exposait ou 1833, attirait très justement sur lui l’attention ; il n’avait alors que vingt et un ans. Mais le jeune artiste n’était pas homme à exploiter la faveur publique. Il se croyait, par ce succès même, engagé à des efforts plus opiniâtres pour développer son talent.

Jusque-là, dans ses œuvres, le côté décoratif avait tenu une grande place. C’étaient le plus souvent des vues pittoresques, des panoramas où les arbres ne jouaient qu’un rôle secondaire el n’apparaissaient qu’en masse, aux arrière-plans. Avec le temps, il s’était mis à les aimer de plus en plus, et l’ambition