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Je viens de finir un autre roman, — lui écrit sa mère, en décembre. — Et toi ? Te voilà dans de superbes projets. Pourvu qu’il y ait autre chose de fait que les titres des chapitres ! Je désire excessivement que ton ardeur ne se passe pas en paroles et en projets : et, si tu veux me faire tout de bon plaisir, tu mèneras la chose à bonne fin. Le travail relève de toutes les méchancetés du dehors, et de tous les ennuis du dedans.


Ce nouvel ouvrage dut être bientôt délaissé. Il pouvait attendre, puisqu’il avait déjà ses titres de chapitres ! C’est sans doute à lui que George Sand faisait allusion, lorsqu’elle lui écrivait malicieusement (une fois n’est pas coutume) le 14 janvier 1859 : « Je n’ai pas besoin de te dire de ne pas trop te fatiguer à ton roman. Il ne me paraît pas qu’il t’enivre… »

Si Solange n’écrivait pas le roman projeté, c’est peut-être qu’elle en vivait un autre. Sur ces entrefaites, elle avait renoué avec l’ami dont la correspondance, surprise par Clésinger en 1854, avait provoqué l’éclat que nous avons raconté plus haut. Cet ami était le comte A***, député du Piémont ; sa résidence ordinaire était à Turin, mais il faisait à Paris des passages ou des séjours. Le 26 mars 1858, Solange parle de lui à sa mère sur un tel ton que celle-ci lui répond : « On voit bien à ton style que c’est le descendant du Corneille de l’Italie. » Solange, sans doute invitée par lui, veut partir pour Turin. Cet imprévu l’attire. Le Piémont, d’ailleurs, était fort intéressant à cette époque, à la veille de l’indépendance italienne. Et Turin, ville de tout temps à demi française, comptait, en outre, des exilés ou des victimes de l’Empire. Un des meilleurs amis berrichons de George Sand, Ernest Périgois, s’y trouvait entre autres, avec Étienne Arago. C’était là matière à devis politiques, à observations, à écritures.

Un livre sur le Piémont ! Solange le voit luire dans l’éclair de sa fantaisie. Et la voilà qui se prépare à ce fascinant voyage. Elle empile sur sa table et dévore simultanément : une grande biographie de Victor Alfieri, les lettres du président de Brosses sur l’Italie, celles de Mlle de Lespinasse et enfin les ouvrages… du maréchal de Saxe ! Férue tout à coup d’enthousiasme pour son grand ancêtre de la main gauche, Solange ambitionne d’écrire, elle une femme, l’ouvrage d’histoire grave, technique, profond, dont son héros est digne et qui lui manque encore. La tête échauffée de ces projets multiples, elle part pour Turin. Sitôt arrivée, elle tombe à plat, et s’ennuie. Elle se plaint de cet ennui à Ernest Périgois, et à sa mère. Celle-ci lui répond :