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assez au courant pour le moment de ce qui plaît, je te dirai franchement s’il faut la publier. Quant aux vers, je ne serais pas bien compétente ; et George, qui en fait de très beaux, pourrait le mieux conseiller. Mais si tu te rebutes quand on te dit qu’une chose n’est pas réussie, tu ne feras jamais rien. Il faut, au contraire, que le blâme te stimule et te donne envie de mieux faire. Je crois qu’en voulant faire parler un voyageur amoureux, tu débutes par une très grande difficulté. L’amour d’un homme, dit par une femme, surtout à brûle-pourpoint dans une lettre, c’est un tour de force, et ne peut passer qu’avec une habileté consommée. Envoie-moi ça quand même ; et, si tu me parais avoir échoué en effet, tu prendras ton sujet plus terre à terre. Il est impossible qu’il n’y ait pas quelque chose de joli à sauver dans tout cela.


Le comte, de son côté, pressait Solange d’aboutir, et lui offrait tous les matériaux nécessaires à un livre, grave ou léger, sur le Piémont. George Sand, très souffrante de coliques néphrétiques, et condamnée au repos forcé, lui écrit entre deux accès pour revenir à la charge :

Il faut faire le livre qu’on te conseille, ne pas « échigner » les populations. On n’a ce droit-là que dans un livre très sérieux. Mais tu peux très bien t’instruire des choses du pays, même sérieuses, puisqu’on te donne la besogne toute mâchée. (26 juillet 1858.)


Mais Solange, au moment de sauter, se dérobe. Ce ne sera pas pour cette fois. On verra une autre année, au prochain voyage… Et la voilà partie pour une grande randonnée, qui la mène de Turin à Aix-les-Bains (4 août), d’Aix à Baden-Baden (13 août), de Bade en Belgique (28 août) ; elle finit par se rabattre à Nohant (septembre). Et sa mère, désolée, de lui écrire le 9 août, mal guérie encore :


Ta grande lettre m’a fait beaucoup de peine. Je voulais t’y répondre longuement. Je n’ai pas pu. Je n’ai fait que pleurer, en te grondant en moi-même de jeter ainsi le manche » après la cognée. Ma tête n’est pas assez forte pour cela. Épargne-moi un peu. Je t’écrirai de Nohant… Je t’embrasse tendrement et tristement.


Les pleurs de George Sand s’expliquent. Solange en était à sa troisième tentative avortée : un volume de vers, un roman, un livre de mœurs. Et la tarentule du déplacement la piquait toujours ! Au mois de décembre, elle repartait pour Turin d’une traite, à l’improviste.


Que diable vas-tu faire à Turin, pour y passer cinq jours, par ce mauvais temps ? Il faut que tu sois de fer pour de pareilles courses. Dieu merci,