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tu es trempée pour une existence si active et si mystérieuse. Car le diable ne devinerait pas le but de pareilles promenades en plein hiver.


Il est probable, pourtant, que le diable eût deviné. Solange s’en expliquait, à sa manière :


J’avais promis là-bas, à une personne que j’aime beaucoup, de ne pas laisser finir l’année sans retourner la voir… Sur huit jours, j’ai donc été en passer cinq à Turin, un à Aix pour y voir mon bon docteur Davat (qui m’était venu tirer de ma fièvre cérébrale l’an passé en Piémont), — et M. Lanfrey, un garçon de beaucoup de mérite et de talent, qui a le mauvais goût de me trouver de l’esprit, et la naïveté de me chapitrer sur le travail. (16 décembre.)


Une certaine coquetterie satisfaite perce dans cette dernière phrase. Solange était justement fière d’avoir attiré l’attention du grave Pierre Lanfrey. Elle l’occupa plus d’un jour. Mais les Célimène ne captivent pas éternellement les Alceste.

Plusieurs mois se passèrent. Solange était à Paris, et sa mère parcourait l’Auvergne, quand elle reprit, en juillet 1859, deux de ses anciens projets ; écrire, à défaut de livres, des articles sur le Piémont, et approfondir l’œuvre du maréchal de Saxe. M. de Girardin, qui semble avoir eu un faible pour son brillant esprit, la chargeait d’aller, sur place, écrire des articles politiques pour la Presse :


Enfin je quitte Paris ce soir pour Florence, où je vais tartiner des bouts d’articles pour la Presse. Bouts d’articles mal payés, mais cependant payés. (28 juillet.)


En août, elle rentrait, après avoir envoyé au journal plusieurs études, dont trois parurent, mais hachées par les ciseaux du rédacteur en chef Nefftzer. En même temps, elle se mettait décidément au « Maurice de Saxe. » George Sand, ravie, lui adressait de vifs encouragemens pour ses lettres de Florence, et offrait de lui corriger, « si elle voulait, » ses études sur l’auteur des Rêveries. « Je crois bien que je le veux ! » (9 octobre.)

Tout s’annonce à souhait, d’autant plus que George Sand se trouve inopinément secondée, dans ses conseils à sa fille, par le maître de la critique, par cet incomparable « directeur » intellectuel qui s’appelle Sainte-Beuve. La rencontre est assez curieuse pour qu’on s’y attarde un instant.