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fusil ; ils en auront tous au printemps : les arsenaux sont bien garnis, les magasins sont pleins, les places sont déjà en meilleur état, et on y travaille tous les jours ; nous avons des chevaux soit dans nos régimens, soit chez les cultivateurs ; toutes les précautions sont prises pour que le passage du pied de paix au pied de guerre soit prompt. Rarement on a vu l’armée française dans une meilleure position et répondant mieux à la confiance que M. Thiers a eue en elle et que tout le monde peut avoir. Nous étant mis ainsi à l’égal de nos voisins, nous pouvons vivre très tranquilles. »

Personne du reste, en France, n’avait une opinion contraire, et, quand la loi eut été promulguée, le thème de l’opposition contre elle ne fut pas qu’elle était insuffisante, mais qu’elle était excessive, et qu’elle accablait inutilement les populations. Le prince de Joinville, dans son travail, du reste très distingué, sur Sadowa, l’accusait de « dépasser la limite, atteinte par la loi de 1832, des sacrifices qu’un pays doit demander en temps de paix à sa population. Exiger davantage, écraser outre mesure notre race, qui donne déjà, hélas ! quelques symptômes d’épuisement, c’est vouloir (qu’on nous passe la familiarité de l’expression) tuer la poule aux œufs d’or ; c’est donner raison à la triste théorie qui veut que les peuples, au lieu de tirer de leur sein des armées pour leur défense, ne soient que des machines destinées à fabriquer des milliers de soldats avec lesquels on joue, comme avec des pions, sur le vaste échiquier de la folie humaine. Nous le disons avec conviction, ce système de recrutement à outrance ne saurait durer ; le temps, et un temps qui ne sera pas très long, en fera nécessairement justice : ni la population, en effet, ni la fortune publique, ne suffiront à le soutenir. » Si des hommes de cette valeur et de cette gravité parlaient ainsi, imaginez ce que disait le monde démagogique.

Chaque époque a sa banalité courante qui, à force d’avoir été répétée, se retrouve sur toutes les lèvres sans que personne la révoque en doute, si erronée qu’elle soit. Dorénavant, cette banalité fut le poids intolérable de la loi militaire. De même que jusque-là les députés de l’opposition déclamaient plusieurs fois par an sur les périls que nous faisaient courir les événemens de 1866, ils se récriaient, sans se troubler de la contradiction, contre les arméniens qu’expliquait cependant la nécessité de conjurer ces périls. L’attaque à la loi militaire devint l’article