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Et la pièce elle-même est jolie, bien conduite, tout aussi amusante que si elle n’était pas fondée sur un axiome de morale : « Ne mentez jamais, non pas même pour des bagatelles, l’habitude en est mauvaise. » Ce principe une bonne fois posé, l’auteur s’est trouvé libre de broder à son aise des scènes très vives où nous ne voyons pas que la haute société anglaise vaille beaucoup mieux que la nôtre. Il y a là trois jeunes ménages que Gyp ne désavouerait point, sauf qu’il n’est jamais question d’adultère. Les maris, menés comme ailleurs par leurs femmes, sont ennuyeux, tatillons, tracassiers, plus que la généralité des maris de notre connaissance ; l’un d’eux, brutal par surcroît, passe la mesure de maladresse que se permettraient chez nous ceux de sa confrérie, et il en recueille nécessairement les fruits ; sa femme demande à d’autres les attentions qu’il n’a pas pour elle, mais elle s’arrête au flirt, — un flirt assez gros et très audacieux, car « plus un flirt est innocent, plus il s’accorde de latitude. » Les dames de cette brillante et futile compagnie affectent une impertinence singulière avec leurs maris, dont elles se moquent entre elles et qu’en face elles blaguent, pour nous servir d’un des mots d’argot dont elles sont coutumières. Auprès de ces folles, paraît être d’une espèce différente la belle veuve d’un officier tué au Zoulouland : Béatrice porte rigoureusement son deuil tout en faisant languir le plus dévoué, le plus discret, le plus fidèle des amoureux, le colonel Deering. Celle-là seule serait capable d’une passion profonde ; les autres ne sont que des papillons. L’un de ces papillons cependant, lady Jessica, est tout près de se brûler à la flamme qu’elle a soigneusement attisée chez le lion de la saison, un lion émule de don Quichotte, qui a gagné sa renommée dans des missions contre la traite des nègres, cause tout évangélique pour laquelle son grand-père avant lui s’est ruiné, car les Falkner sont une famille de dissidens, de non-conformistes, variété de puritains dont certain personnage de la pièce dit : — J’ai une insurmontable aversion pour ces gens-là !

A quoi un autre répond : — Oh ! certes, je les hais, mais ils ont sauvé l’Angleterre, que le diable les emporte, et je crois bien qu’ils sont encore ce qu’elle a de plus solide.

— De grâce, s’écrie quelqu’un, n’allez pas leur dire cela, juste au moment où ils commencent à devenir inoffensifs, supportables, et tant soit peu artistes.