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POÉSIE.

Mais, dehors, ranimé par la bise automnale,
Je me suis rappelé l’œuvre nationale,
L’œuvre de cette France, et j’eus comme un remords
En songeant à l’oubli qui couvre tous ces morts.

Oui, ceux que ce logis en ruine eut pour hôtes
Ont commis, j’en conviens, des erreurs et des fautes ;
Ils ont de durs abus trop longtemps profité.
Mais, vers plus de justice et de fraternité,
Sommes-nous sûrs d’aller ? Vers quel gouffre nous roule
Le stupide et changeant caprice de la foule ?
« Ni Dieu ni Maître ! » Mais nous nous humilions
Devant les souverains du jour, les millions,
Et notre âme vénale, au Veau d’Or convertie,
Trouve à l’abject écu la splendeur de l’hostie.
Notre pire démence, en ce siècle orgueilleux,
C’est l’horreur du passé, le mépris des aïeux.
Mais le poète les respecte et, tout à l’heure,
Quand ils m’ont apparu dans la vieille demeure,
Mon cœur fut attendri, car je reconnaissais
En eux de vrais, de purs, d’authentiques Français
Qui donnèrent, pour des siècles, à notre race,
Les hommes leur vaillance et les femmes leur grâce.
Le mal, quand ils l’ont fait, fut celui de leur temps.
Mais la France est leur œuvre et, pendant des cent ans
Et des cent ans, ils ont peiné pour son service.
Leur sang fut le ciment de ce grand édifice.
Ils ont, croyant en Dieu, fidèles à leur roi,
Maintenu l’unité de pouvoir et de foi.
Leur effort instinctif, pendant la lente histoire,
Province par province, accrut le territoire.
Il leur doit, ce pays natal que nous aimons,
Sa ceinture de mers, de fleuves et de monts.
Leur épée a donné sa forme à la patrie ;
Et si, de notre temps, elle s’est amoindrie,
C’est que nous n’avons pu, peuple au cœur fatigué,
Garder intact le sol qu’ils nous avaient légué.

France des fleurs de lys, puissant et beau royaume,
Je reste ému d’avoir évoqué ton fantôme