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d’autres puissances ; mais, si tel était son sentiment, que ne l’a-t-elle exprimé en toute franchise ? Elle ne l’a pas fait, et pendant plusieurs mois, nous le répétons, elle nous a laissé croire, elle nous a même formellement donné à croire que la question du Maroc lui était en elle-même indifférente. L’Allemagne était-elle sincère alors, ou cherchait-elle à nous endormir dans une fausse sécurité, dont elle devait nous réveiller par la suite en sursaut ? Peut-être y a-t-il eu dans sa politique un mélange de l’un et de l’autre, de réserve pour l’avenir et d’indifférence dans le présent. Sa pensée mûrissait ; ses desseins n’étaient pas encore arrêtés. Une seule chose est certaine : c’est que la question du Maroc ne lui causait que des préoccupations très secondaires et que si elle devait la mettre un jour au premier plan, c’était pour cacher autre chose derrière elle. La presse allemande s’est plainte aussi, et très amèrement, des procédés de M. Delcassé ; elle s’est attaquée à sa personne ; elle a donné à entendre qu’il était un obstacle à toute négociation entre son pays et le nôtre. Faut-il s’arrêter à ce langage des journaux ? Le gouvernement impérial nous en voudrait peut-être de le trop faire, et d’accréditer la croyance que de simples considérations de personnes ont pu peser d’un poids aussi lourd sur sa politique. Que lui importe M. Delcassé ? En tout cas, le voilà parti : nous verrons bien si la situation en sera sensiblement modifiée. Qu’il y ait eu là une satisfaction d’amour-propre pour les Allemands, soit ; mais s’ils sont sensibles aux considérations de ce genre, ils n’ont pas l’habitude d’y subordonner leur politique, et ce sont généralement d’autres influences qui la déterminent.

À mesure que nous éliminons quelques-unes des causes qu’on a attribuées à l’accès de mécontentement auquel l’empereur allemand a cédé, nous nous rapprochons sans doute de la véritable. Mais ici c’est le cas de dire : Incedo per ignes. Les hypothèses qui se présentent à l’esprit sont délicates à énoncer. Si ce n’est pas tant à la personne de M. Delcassé qu’on en a voulu qu’à sa politique, quelle a donc été celle-ci ? On l’a caractérisée d’un mot en l’appelant une politique de rapprochemens. Et de rapprochemens avec qui ? Avec l’Italie et l’Angleterre. Tout le monde en France, ou presque tout le monde, en a approuvé cette double manifestation : est-ce que tout le monde a eu tort ? Cela est difficile à croire. Au moment où la Russie éprouvait en Extrême-Orient des malheurs qui la condamnaient à un affaiblissement provisoire, on a pensé qu’il y avait eu dans la politique de M. Delcassé un calcul habile ou un hasard heureux qui l’avait ramené à contracter des amitiés nouvelles, ou du moins à en resserrer les