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intérêt, notre honneur nous en ferait une obligation. Nous n’avons aliéné aucune parcelle de cette liberté, et nous n’en aliénerons aucune. Mais, ceci dit, nous n’avons aucun regret à éprouver, ni surtout aucun repentir à exprimer au sujet de la politique que nous avons suivie. L’amitié de l’Angleterre en particulier nous reste très précieuse, d’autant plus qu’elle nous a été offerte dans des conditions qui n’ont rien coûté à notre dignité, et qu’elle nous est sans doute utile pour conserver celle-ci intacte. Aussi avons-nous éprouvé une impression pénible à voir l’acharnement avec lequel plusieurs journaux ont jeté la pierre à M. Delcassé le lendemain de sa chute. Sans doute, et cela pour des motifs divers, il était très difficile à M. Delcassé, après avoir conservé ses fonctions pendant sept ans, de les exercer longtemps encore ; et enfin ses procédés personnels lui appartiennent : mais sa politique a reçu l’approbation des Chambres et du pays, et nous n’avons aucun désaveu à en faire, au moins sur les points essentiels. Nous comprenons fort bien les impatiences de l’Allemagne, et assurément nous devons en tenir compte sans nous arrêter à la manière dont elles se manifestent. La vie de ce monde, entre les nations comme entre les particuliers, est faite de conciliation et de transactions, et nous avons dit bien souvent que, lorsqu’on veut sincèrement la paix, ce qui est notre cas, il faut en vouloir et en respecter les moyens. M. Rouvier, assurément, est homme à le faire ; mais l’opinion doit l’y aider en reprenant ou en conservant son sang-froid.

La retraite de M. Delcassé n’est pas une solution, et nous serons très heureux si seulement elle en est le prodrome. Le règlement de la question du Maroc n’en sera pas une non plus, mais pourra aussi et encore plus efficacement la préparer. Quelle est actuellement la situation à Fez ? Le Sultan a fait savoir à notre ministre que, pour se conformer à la volonté de son peuple représenté ou plutôt figuré par la réunion de quelques notables, il ajourne les réformes dont il reconnaît d’ailleurs la nécessité, jusqu’au moment où une conférence internationale aura dit ce qu’elle en pensait. Il est peu probable que cette idée d’une conférence internationale serait venue à l’esprit du Sultan si M. le comte de Tattenbach ne la lui avait pas inspirée. C’est une idée allemande : elle est partie de Berlin pour aboutir à Fez. Mais il est naturel que le Sultan y ait adhéré puisqu’elle lui permettait de gagner du temps, et que tout ce qui produit ce résultat est en quelque sorte en harmonie préétablie avec la diplomatie musulmane. Toutefois, le Sultan ne nous aurait pas fait la réponse qu’il nous a faite si M. le comte de Tattenbach ne lui avait pas donné contre ses suites